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mardi 9 février 2021

L’effet du sel et du sucre sur la fermentation


Suite à des textes qui indiquent que le sel et/ou le sucre bloquent la fermentation par des levures, nous décidons de faire une expérimentation qui compare un mélange d’eau, de farine et de levure, avec :

- le même mélange additionné d’un peu de sel

- le même mélange additionné de beaucoup de sel

- le même mélange additionné d’un peu de sucre

- le même mélange additionné de beaucoup de sucre.

Cette expérience est effectuée avec de la levure fraîche, achetée le jour même chez le boulanger local, et avec de la levure boulangère instantanée Francine (date limite d’utilisation mars 2022).

Tout est pesé sur une balance à 0.0001 g.

Pour les expériences, le mélange initial, qui est donc réparti dans 10 béchers, est composé de :

- 200.0 grammes d’eau désionisée

- 40.0 grammes de farine

On prévoir d’ajouter selon les cas : 20.0 grammes de levure fraîche ou 5 g de levure instantanée (1 sachet).

Pour le sel, la « petite » quantité est 4.0 g (c’est déjà beaucoup) ; et la grande quantité est quatre fois supérieure (16 g, considérable!)

Idem pour le sucre.

L’expérience commence en début de séminaire :

A 16 h 12, de la levure fraîche (20.0 g) est ajoutée à un bécher contenant la moitié du mélange eau+farine initial, soit 100 g d’eau et 20 g de farine, tandis que la levure lyophilisée est ajoutée à un autre bécher, où l’on a mis l’autre moitié du mélange eau+farine initial.

Puis, aussitôt (~ 30 s), on ajoute :

- rien dans les béchers B1 et B6

- 4 g de sel dans les béchers B2 et B7

- 16 g de sel dans les béchergs B3 et B8

- 4 g de sucre dans les béchers B4 et B9

- 16 g de sucre dans les béchers B5 et B10

Un bécher de contrôle B0 contenant 20 g d’eau, 4 g de farine et 2 g de levure fraîche avait mis sur un radiateur très chaud : comme on ne voit pas de fermentation, on décide que les béchers B1..10 seront seulement placés à côté du radiateur, et pas dessus.

A intervalles réguliers, on observe les fermentations, et les résultats sont sans appels :

- c’est avec le plus de sel (16 g!) que l’on a la mousse la plus abondante, dans un premier temps,

- c’est avec le plus de sucre (16 g) que l’on a ensuite la mousse la plus abondante.

Les images suivantes montrent l’état des béchers à 17 h 51 (ordre 1 : ni sel ni sucre ; 2 : peu de sel ; 3 : peu de sucre ; 4 beaucoup de sel ; 5 beaucoup de sucre). Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae

1. Pour la levure fraîche :



Et pour la levure lyophilisée : 



Pour comparer, l’image des dix béchers prise à 18h 10 :



On voit bien que, pour la levure fraîche, le maximum de mousse est obtenu pour beaucoup de sucre, alors que c’est avec beaucoup de sel qu’il est maximal pour la levure lyophilisée.

Surtout, on signale que le classement par ordre de volume de mousse décroissants a toujours été :

- soit beaucoup de sel, soit beaucoup de sucre

- soit beaucoup de sucre, soit beaucoup de sel

- et les autres, ensuite, avec les béchers sans sel ni sucre en dernier du classement.

Pour interpréter, Grégory Schmauch envoie l’article Marina Carcea, Valentina Narducci, Valeria Turfani and Francesco Mellara. 2020. A Comprehensive Study on the Influence of Sodium Chloride on the Technological Quality Parameters of Soft Wheat Dough, Foods, 9(7), 925. https://www.mdpi.com/2304-8158/9/7/952, dernier accès 2021-01-19, dont le résumé est :

This study aimed at understanding how the presence or absence of NaCl influences dough rheological performance of soft wheat cvs. currently used in the Italian bread manufacturing industry as a scientific support to national health strategies to reduce the use of NaCl in bread. For this reason 176 flour samples belonging to 41 soft wheat cvs. currently cultivated in Italy, were analyzed for their protein content, Zeleny sedimentation value, and by means of the Chopin Alveograph and Brabender Farinograph, with no salt and with 1.5% salt addition (average salt content in Italian bread). Three selected cvs. (Aubusson, Bolero, and Blasco) were additionally studied by means of the Rapid Visco Analyzer (RVA) at three levels of salt addition (0%, 1.5% and 3.0%). The fermentation behaviour of the cvs. Aubusson and Blasco was also studied by means of a Rheofermentometer under the same conditions. The results of our study confirmed the role of salt in strengthening the wheat gluten network (up to 86%), and thus the gas retention of dough and in affecting yeast activity. However, it also definitely proved that careful cultivar selection can help in overcoming technical challenges in reduced-salt bread manufacturing and eventually, it opens the path to wheat breeding for reduced-salt bread baking.

Traduction personnelle : Cette étude montre comment la présence ou l’absence de NaCl influence les performances rhéologiques de la pâte faite de blé tendre couramment utilisée dans l’industrie boulangère italienne, dans une perspective de réduction nationale du sel dans le pain. Pour cela, 176 échantillons de farine de 41 variétés de blé tendre couramment cultivées en Italie ont été analysée : on a mesuré leur teneur en protéines, la valeur de sédimentation de Zeleny, et les données de l’alvéographe de Chopin et du farinographe de Brabender, sans sel ou avec une addition de 1,5 % de sel (la moyenne pour le pain italien). Trois variétés (Aubusson, Bolero et Blasco) ont été étudiés par Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae

l’analyseur rapide Visco (RVA) à trois niveaux d’ajout de sel (0 %, 1.5 %, 3%). Les comportements en fermentation des variétés Aubusson et Blasco ont été également étudiées par Rhéofermentomètre, dans les mêmes conditions. Les résultats confirment le rôle du sel dans le renforcement du réseau de gluten (jusqu’à 86%), et donc la rétention de gaz dans la pâte et l’activité des levures. Toutefois il est définitivement prouvé qu’une sélection soigneuse des cultivar peut aider à résoudre les difficultés techniques de l’industrie boulangère, dans sa recherche de réduction du sel, et conduire à des variétés nécessitant moins de tel]

Cet article est très critiquable, de nombreux points de vue (et rien que le résumé le montre bien), mais il montre que l’ajout de sel diminue la quantité de gaz produite, et aussi la quantité de gaz qui s’échappe par la suite.

A noter qu’ils ajoutent le sel à une pâte, et pas à une solution, comme dans nos expérience, et qu’ils signalent une diminution pour une teneur en sel de 3 %, plus grande que pour 1.5 %.

D’autre part, on peut s’interroger sur la différence entre :

- du sel ou du sucre ajoutés à un mélange liquide de démarrage de la fermentation

- du sel ou du sucre ajoutés directement à une pâte.

On observe que du sucre ajouté à une pâte conduit à l’ « effet sucre », de sorte que le sucre se trouve dilué dans un sirop, exactement comme dans notre expérience.

Pour du sel, il reste à tester un « effet sel », pour savoir si le sel reste présent sous la forme de grains solides, ou bien s’il est dilué dans de l’eau, auquel cas on se ramènerait à nos expériences (on regardera aussi au microscope).

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lundi 8 février 2021

l'Ail

Il a été rapporté que « de l’ail écrasé ferait gonfler le jaune d’œuf ».

On teste donc cela avec :

- une gousses d’ail entière et un jaune d’œuf

- une gousse d’ail écrasée et un jaune d’œuf

- une gousse d’ail entière et un blanc d’œuf

- une gousse d’ail écrasée et un blanc d’œuf

Comme le verre qui contenait la gousse écrasée et le jaune d’œuf a été bougé, des bulles y ont été initialement introduites, on fait un autre verre avec ail écrasé et jaune d’œuf.

Des marques sont faites sur le niveau supérieur du liquide, dans tous les verres.

Après 2 heures d’attente, aucun gonflement n’est observé pour aucun verre.

On s’interroge sur un possible (pas net) changement de viscosité du jaune d’œuf avec l’ail écrasé. 


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Le navet et le bouillon

 2.2. Le navet dans le bouillon enlèverait le goût

On part de :

Madame Millet-Robinet, La maison rustique des dames, p.350 : « Il faut mettre peu de navets : ils ont l’inconvénient d’affadir le bouillon ».

Pour tester cette précision culinaire, on prépare un bouillon (à partir d’une poudre de bouillon de volaille).

Puis on le divise en deux.

Dans un des deux bouillons, on ajoute un gros navet pelé et coupé en cubes d’environ 2 cm de côté.

Les deux bouillons sont mis à cuire ensemble, sur le même feu, à 16 h 22, et la cuisson est arrêtée quand les navets sont cuits, à 16 h 52.

On observe d’abord que les niveaux ont réduit de la même façon, dans les deux casseroles.

Première observation très nette : le bouillon avec les navets est bien plus clair.

Puis on organise un test triangulaire :

- le premier jury voit la différence à l’odeur

- le second jury voit très nettement la différence de goût : le bouillon avec le navet est un peu moins salé, un peu moins puissant, et il y a de surcroît un fort goût de navet.

- on trouve un goût léger de champignon dans le bouillon nature, où il y a notamment du monoglutamate de sodium.

A noter que la mère de Rolande Ollitrault, à Mauron, ne mettait pas de navet dans le pot au feu, car elle disait que les navets faisaient tourner les bouillons. Ces derniers étaient conservés à la température ambiante, dans le cellier (il n’y avait pas de réfrigérateur).

On notera aussi les précisions suivantes :

SD : Madame Seignobos, Comment on forme une cuisinière, Première partie, Les viandes de boucherie, Paris, Hachette, p. 18 : « Les légumes [carottes, navets, poireaux] ne doivent pas séjourner plus de deux heures dans le bouillon sous peine de le troubler. Si le bouillon est trouble, c’est qu’il a bouilli trop vite, que les légumes y ont séjourné trop longtemps ou que la marmite était complètement fermée par son couvercle ; il faut toujours laisser une issue à la vapeur pour qu’elle ne retombe pas dans le bouillon ».

1867, Jules Gouffé, Le livre de cuisine, 1867 (1ere ed), fac similé Henri Veyrier, 1988, p. 43 : « Il est facile de concevoir que des légumes qui restent trop longtemps dans le bouillon lui enlèvent de sa saveur. On peut s’en convaincre, du reste, en goûtant carottes, poireaux et navets, que l’on aura laissé trop longtemps dans le pot au feu : ils ont pris un goût succulent aux dépens du bouillon, dont ils ont pompé une partie de la substance ».

1893 : Madame Millet-Robinet, La maison rustique des dames, Librairie agricole de la maison rustique, Paris, 1893, p.350 : Il faut mettre peu de navets : ils ont l’inconvénient d’affadir le bouillon ».

1892 : Lucien Tendret, La table au pays de Brillat-Savarin, Lyon, 1986, Éditions Horwarth, p.26 : « Le pot-au-feu étant débarrassé de cette substance, assaisonnez de dix grammes de sel par livre de viande, ajoutez un bouquet de poireaux, trois carottes de moyenne grosseur et une gousse d’ail ; les choux, les navets, les oignons, contenant du soufre à l’état sulfhydrique, nuisent au

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Les Flambages

On redonne en détail le résultat des expériences relatives au flambage du Cognac, et l’on ajoute le résultat d’expériences de flambage du vin : dans les deux cas, des cuisiniers ont écrit que ce flambage « réduit l’acidité, en évaporant les acides volatils » (par exemple, B. Loiseau, p. 27 : « Il est toujours indispensable de flamber le cognac pour le débarrasser de ses acides »).

Il y a là deux affirmations différentes qui doivent être testées :

(1) est-il vrai que le flambage réduit l’acidité ?

(2) s’il était vrai que le flambage réduisait l’acidité, cela serait-il dû à l’évaporation d’acides volatils ?

On doit répéter que, contrairement à une idée qui est dans les milieux culinaires, les producteurs de cognac n’ajoutent pas d’acide sulfurique dans leurs alcools : on ne parle d’acide sulfurique que pour exprimer l’acidité des cognacs, vins ou eaux-de vie.

Ainsi, l’Acidité Volatile (AV) est un paramètre important de la qualité des vins, que l’on utilise pour désignes toutes les formes (libres et salifiées) des acides volatils potentiellement présents dans le vin (le principal acide volatil est l’acide acétique, dont la température d’ébullition est de 122 °C). La teneur en AV est mesurée en “grammes d’acide sulfurique par litre de vin”. C’est un critère de qualité utilisé par la loi française : un vin est dit “marchand” si celle-ci n’excède pas 0,9 g/L. Les réglementations vinicoles des autres pays producteurs indiquent des limites comparables.

Pour éclairer la discussion qui suit, on rappelle que l’acidité se mesure sur une échelle entre 0 (très acide) et 14 (très basique). L’eau, qui n’est ni acide ni basique, mais neutre, a un pH de 7.

Pour avoir une idée, des citrons peuvent avoir un pH de 2, et de la « lessive de cendres », comme on en utilisait naguère pour cuire les légumes verts, peut avoir un pH de 12.

On observera aussi que l’acidité en bouche ne dit rien de l’acidité réelle : on a mesuré des pH de framboises de seulement 2, alors que c’est la même que celle de vinaigres. Et l’on observera que, avec les gastriques, le pH ne change pas avec l’ajout de sucre (saccharose), même si l’acidité en bouche disparaît.

Enfin, à propos de cognacs, l’expérience avait été faite de mesurer le pH de cognacs flambés ou non, mais réduits de la même façon. Le pH initial est de 4.08.

Réduire de 71 ml à 18 ml, avec flambage, prend environ 30 minutes, et l’on mesure finalement un pH de 3.08 : le liquide flambé est donc plus acide que le liquide non flambé, contrairement à ce qui a été écrit.

Pour la même opération de chauffage, sans flambage, mais avec la même réduction (en volume), on obtient un pH de 3.03, pas différent significativement. Et la fin de l’évaporation d’alcool flambable s’observe après la même durée.

On note enfin que l’on avait observé un trouble, pour les Cognacs flambés ou réduits non flambés. Ce trouble est resté inchangé (Figure 1).

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Illustration 1: De gauche à droite : cognac, cognac flambé, cognac réduit et non flambé : on voit un trouble, à la réduction.

Pour le vin, l’expérience a été la même : on a comparé le pH de vin nature, ou de vin réduit, flambé ou non.

Il s'agissait de Cabernet Sauvignon 2019, Réserve Saint Marc, Pays d'Oc, Vignobles Foncalieu, Arzens.

Le chauffage a duré cette fois 10 min 48 s, avec flamme, et le même temps à 10 s près sans flamme.

Les pH sont :

- pour le vin cru : 3.67 (sd 0.01)

- pour le vin flambé : 3.61 (sd 0.01)

- pour le vin réduit sans flambage 3.60 (sd 0.01)

Cette fois, on ne voit quasiment pas de variation, et, en tout cas, pas d’augmentation de pH.

Donc, pour le vin comme pour le Cognac, la réponse à la première question est claire : s’il est exact que la sensation en bouche est moins « rude », après le flambage (ou la réduction), il n’est pas vrai que les liquides deviennent moins acides ; au contraire, ils deviennent plus acides.

Ici, on signale la confusion fréquence entre acidité, amertume, présence d’éthanol. C’est cette confusion qui explique que l’idée (1) soit fausse. En revanche, pour l’idée (2), c’est une interprétation très fautive d’un phénomène qui n’a pas lieu. Ce qui est principalement en cause, lors du flambage, c’est l’évaporation de l’éthanol pas des « acides volatils ».

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Le thème expérimental du mois : peler les tomates

Les livres de cuisine prescrivent, pour peler des tomates, des pratiques différentes : avec ou sans bac d’eau froide, des temps variés (5, 10, 15, 20, 25 secondes), l’élimination préalable du pédoncule éventuelle, la préparation des tomates avec notamment la formation d’une croix, au couteau, avant de les plonger dans l’eau bouillante.

En restauration collective, le traitement se fait en bac à trous et au four à 130 °C, avec vapeur.

Ces tomates pelées sont plus agréables dans une salade, dans une sauce (pas de particules rouges), etc.

Et l’on a comme critère :

- que la tomate reste crue (avec sa consistance et son goût de cru)

- que la peau se détache facilement

- que la peau n’emporte pas de pulpe

- que l’ongle passé sur la tomate pelée n’emporte pas de pulpe

La cuisson se fait à l’eau non salée, sans bicarbonate de sodium.

Pour ce qui suit, on numérote des expériences différentes :

1. Pour nos premières expériences, une série de tomates rondes est utilisée. On ignore leur maturité, les conditions de leur culture, et l’on envisage des répétitions, afin de savoir si la variabilité de la matière première est importante… mais on verra que la réponse est négative.

Pour ces premières tomates, on les plonge dans l’eau bouillante, on les laisse un nombre de secondes déterminé à 1 seconde près, et on les pose à l’air libre, sans eau froide pour commencer.

Les résultats sont :

Tomate crue La peau s’enlève difficilement.

A l’économe, on enlève trop de pulpe. Certes, on pourrait utiliser un économe spécial, mais le travail est plus important que quand on peut peler.

Cuisson 5 s c’est presque comme si l’on n’avait pas cuit : épluchage difficile. L’emploi de l’économe est facilité, mais il reste trop de pulpe.

Cuisson 10 s Presque comme pour 5s, mais le pelage est plus facile, sans emporter de pulpe ; on fait des lanières plus larges, et l’expérimentateur professionnel déclare : « je ne pensais pas que ce serait aussi simple avec seulement 10 s ».

Cuisson 15 s Le pelage est facilité, et il peut même se faire avec les doigts (ce qui n’était pas possible avec 10 s). Un tout petit peu de pulpe part avec la peau ; très peu de pulpe dans le test à l’ongle.

Cuisson 20s du jus sort, mais c’est presque comme pour 15 s, avec peu de pulpe sur la peau ; un peu de pulpe part dans le test à l’ongle

Cuisson 25 s Cette fois, de la pulpe avec la peau en quantité qui est jugée excessive.

Cuisson 40 s La peau éclate après 30 s de cuisson. Après cuisson, la peau part toute seule, sans chair, mais le test à l’ongle donne de mauvais résultats.

L’incertitude sur la mesure est de 1 s environ.

On voit que, comme annoncé, la variabilité entre les tomates est inférieure à la différence des effets du traitement, et l’on se réserve de confirmer cela par d’autres expériences (voir plus loin).

2. Pour ces premiers tests, on n’avait pas fait de croix. De ce fait, on fait le test de la croix : au couteau, une croix est faite à l’opposé du pédoncule, qui est enlevé. On plonge la tomate dans l’eau bouillante, et, cette fois, on la sort quand, comme prescrit, les pointes de la croix se soulèvent.

Là, on mesure que le temps de séjour dans l’eau bouillante est de 53 s, bien supérieur à ce qui donnait les meilleurs résultats précédemment. Pour autant, le résultat reste admissible : la tomate se pèle bien, avec un peu de chair toutefois qui part avec la peau, et un test à l’ongle qui ne passe pas.

On conclut que cette méthode est moins bonne que la cuisson entre 15 et 25 s.

3. Avec deux tomates rondes encore, on teste l’effet éventuel d’un refroidissement dans de l’eau au sortir de l’eau bouillante : on compare deux tomates que l’on cuit sans croix, en laissant le pédoncule, à 20 s : elles sont plongées en même temps, sorties en même temps, et une tomate est placée dans l’eau froide, tandis que l’eau est laissée à l’air.

On examine les tomates quand la tomate à l’air n’est plus que tiède/froide.

- cette tomate refroidie à l’air se pèle bien, avec très peu de pulpe qui part avec la peau, et très peu de pulpe sur l’ongle tout petit peu enlevé sur l’ongle ;

- la tomate refroidie à l’eau (qui ne flottait pas dans l’eau) se pèle très bien, avec moins de pulpe sur la peau, et un test à l’ongle qui donne des résultats différents, avec plus de purée à un endroit plus sombre, et pas sur le côté plus clair.

Ainsi, on recommande le refroidissement à l’eau : les deux tomates se pèlent bien mais le résultat est plus apprécié avec le trempage dans l’eau.

4.Pour voir la différence éventuelle selon les variétés, on reproduit la a première expérience avec des tomates allongées, qui sont ébouillantées, puis mises à l’eau.

Tomate crue Très difficile au couteau, et fort gaspillage à l’économe.

Cuisson 10 s La tomate flotte, contrairement aux tomates rondes. La peau part, mais pas facilement, et elle se rétrécit progressivement en pointe. Il n’y a pas de pulpe avec la peau, et l’ongle n’enlève rien. Au total, c’est quand même difficile de peler.

Cuisson 20 s Elle flotte aussi, peu de pulpe sur la peau, l’ongle enlève un peu et le pelage se fait facilement.

Cuisson 30 s Elle flotte, mais le pelage enlève de la pulpe, et le test à l’ongle est mauvais ; le pelage peut se faire à la main

Cuisson 40 s Elle flotte, mais le résultat est mauvais (pulpe cuite sur trop d’épaisseur)

Cuisson 50 s Elle flotte, mais le résultat est également mauvais.

5. On fait maintenant tout une série de tomates toutes différences, que l’on passe pendant 20 s à l’eau bouillante, avant de les mettre dans l’eau froide

Une très grosse tomate (coeur de boeuf) flotte ; la peau s’enlève bien, avec un tout petit peu de chair, très peu sur l’ongle, bon résultat

Une tomate verte flotte moins, et s’épluche très bien aussi, même résultat du test à l’ongle.

Une grosse tomate jaune flotte, puis tombe au fond ; la peau s’enlève très mince, sans pulpe sur la peau, un peu sur l’ongle.

Une tomate noire tombe ; elle s’épluche bien, avec des peaux transparents, sans pulpe, mais le test à l’ongle donne un résultat un peu moins bon que précédemment.

Une tomate allongé tombe, s’épluche bien aussi, comme les deux dernières, un peu de pulpe sur la peau, résultat du test à l’ongle comme la verte et la rouge.

Une coeur de boeuf allongée : très peu de chair sur la peau, comme la grosse rouge, très peu d’ongle.

Finalement, ce test montre la très grand homogénéité des résultats, malgré la grande diversité des tomates, comme annoncé plus haut.

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Les émulsions

 Pour une mayonnaise, l'huile et les jaunes d’œufs doivent être à la même température. 


Si l’on a oublié de sortir les œufs du réfrigérateur, il faut les laisser séjourner quelques minutes dans de l'eau tiède. Avant de monter la mayonnaise, les jaunes d’œufs doivent être délayées avec un filet de vinaigre. On doit commencer par verser l'huile goutte à goutte sur les jaunes, puis enfin filet jusqu'à ce qu'elle soit prise. Tournée, la mayonnaise se rattrape, soit avec de l'eau chaude, soit avec un jaune d'œuf. Dans la première méthode, on délaie une cuillerée d'eau chaude avec une cuillère et de mayonnaise tournée. Ensuite, on incorpore la mayonnaise tournée en procédant de la même manière qu'avec l’huile. Dans la seconde méthode, on détaille le jaune d'œuf et l'on incorpore la mayonnaise tournée en suivant toujours le même procédé. »

Tout cela n’est pas vrai. Notamment, nous avons fait l’expérience de faire des mayonnaises avec œufs froids et huile chaude (50 °C!), ou l’inverse, ou les deux liquides chauds, ou les deux liquides froids… et nous avons constamment obtenu des mayonnaise !

D’autre part, on rappelle que les mayonnaises ne sont pas des rémoulades, à savoir que dans les premières (mayonnaises), il n’y a pas de moutarde, alors que c’est la moutarde qui fait que les rémoulades sont des rémoulades (depuis le 14 e siècle).

Oui, il est important d’ajouter l’huile doucement au début : le but, c’est d’obtenir une émulsion huile dans eau, et non pas eau dans huile (on ne confondra pas émulsion ou mousse, bien évidemment).

Pour l’ajout final de vinaigre chaud, pour stabiliser les mayonnaises, cela n’est pas juste : nous avons fait l’expérience de conserver pendant 39 jours des mayonnaises soit nature, soit avec eau froide, soit avec eau chaude, soit avec vinaigre froid, soit avec vinaigre chaud, et il n’y avait pas de différence.

En revanche, oui, ajouter du vinaigre, contribue à donner du goût (Pierre-Dominique Cécillon ajouter du vinaigre de riz chauffé). A noter que l’ajout de tout liquide conduit à éclaircir la couleur, pour des raisons purement optiques, et non chimiques.

Enfin, pour rattraper une mayonnaise, les conseils donnés sont très insuffisants. Le but, quand l’huile s’est séparée de la phase aqueuse, c’est de refaire l’émulsion. Il suffit donc de décanter l’huile à côté, puis de la réajouter en fouettant.

Inutile (un gaspillage) d’ajouter de l’eau ou, pis, un nouvel œuf !

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La chlorophylle

 Les glaçons sont très appréciable en cuisine. Ne serait-ce que parce qu'ils permettent de fixer la chlorophylle de légumes verts.


 Cette fameuse chlorophylle, qui n'est d'autre qu'un pigment vert confère de la couleur ou légume, est stoppée dans sa dégénérescence en passant du chaud ou froid.

 Il convient donc, après avoir fait cuire des légumes qui doivent leur couleur à la chlorophylle, de les tremper dans de l'eau à sorti de beaucoup de glaçons. Plus l'eau est froide, plus la couleur des légumes est préservée. »

Là encore, la précision culinaire est parfaitement fausse, et vous pouvez refaire l’expérience (faite de très nombreuses fois, et souvent en public) de comparer des haricots vers avec ou sans glaçons, et vous ne verrez pas de différence.

Pire encore, « la chlorophylle » n’existe pas, et il est donc bien impossible de la « fixer ».

Expliquons que le terme de « chlorophylle », au singulier, fut introduit en 1818 par les pharmaciens français Joseph Bienaimé Caventou (1795–1877) et Pierre Joseph Pelletier (1788-1842), de l'Ecole de pharmacie de Paris, pour désigner le « pigment » extrait des végétaux verts, et que l'on croyait constant. 

Nos deux pharmaciens et chimistes reconnaissaient toutefois que le changement de mot n'était pas grand-chose : 

« Nous n'avons aucun droit pour nommer une substance connue depuis longtemps, et à l'histoire de laquelle nous n'avons ajouté que quelques faits ; cependant nous proposerons, sans y mettre aucune importance, le nom de chlorophylle... ».

Puis, progressivement, les physico-chimistes apprirent à séparer les différents composés présents dans cette matière verte : Georges Gabriel Stokes (1864), H. C. Sorby (1873), Mikhail Tswett (1906), et Richard Willstätter (1872-1942) découvrirent que la couleur des végétaux verts est due à la fois à des composés verts ou bleus, et à des composés jaunes, orange ou rouges.

On conserva le nom de « chlorophylle » pour les premiers, mais ce mot fut donné à l'ensemble de la famille, et chaque composé fut désigné par une lettre : a, a', b, b', c…

On connaît aujourd'hui une foule de chlorophylles, et parler de « la chlorophylle » n'a plus aucun sens. Il faut parler « des chlorophylles ».

Et, d’ailleurs, les chlorophylles ne sont pas toutes vertes : il y en a des bleues.

On peut ajouter que ces chlorophylles contiennent, au centre de leurs molécules, des atomes de magnésium, qui sont importants pour la couleur. Quand on cuit en milieu acide ou trop longtemps, ce magnésium est perdu, et le composé brunit. Il ne s’agit pas de « fixer la chlorophylle », mais plutôt de conserver le magnésium dans la chlorophylle.

La règle, pour bien cuire, est donc de ne pas cuire en milieu acide, et de ne pas cuire trop longtemps. Pour le premier cas, une pincée de bicarbonate est utile, et cela a judicieusement remplacé la « lessive de cendres » que l’on employait naguère (les cendres de feu de bois contiennent de la potasse, qui est également basique, s’opposant à l’acidité). Pour le second cas, on rappelle l’emploi des « bassines à reverdir », en cuivre nu. D’ailleurs les « chlorophyllines cuivriques » qui sont aujourd’hui des additifs ne sont que cela : le magnésium a été remplacé par du cuivre.

On ajoute que les couleurs vertes des végétaux verts sont dues à la fois aux chlorophylles et aux pigments de la famille des caroténoïdes (jaunes, orange, rouges).

On notera : en cuisine professionnelle, il est souvent conseillé d’utilisé un volume d’eau qui soit 7 fois le volume de haricots. Cela n’a pas d’effet sur la couleur, mais permet de conserver une eau qui bout quand on ajoute les haricots : cela évite un durcissement des haricots (et ce durcissement conduirait à cuire plus longtemps, donc à perdre du vert).

Finalement on signale que Juan Valverde (aujourd’hui à l’Université de Dublin), a fait sa thèse dans le Groupe de gastronomie moléculaire, sur cette question des changements de couleur des haricots verts en cours de cuisson : https://www.theses.fr/2008PA066677

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Le sel est l'eau de cuisson

Il faut toujours ajouter le sel dans l'eau quand elle arrive à ébullition, jamais quand
elle est froide. 



On gagne du temps et de l'argent. En effet, le sel ralentit la montée en température de l'eau ; il faut également savoir que le sel, une fois que l'eau bout, stabilise son ébullition. 
Cette idée est parfaitement fausse. L’ajout de sel avant ou après ébullition ne change rien à l’énergie
dépensée, ni au temps passé à chauffer. L’expérience a été faite publiquement plusieurs fois, et cette idée proposée naguère par Joël Robuchon et d’autres a été parfaitement réfutée. 
En outre, la phrase « le sel stabilise l’ébullition de l’eau bouillante » n’a aucun sens. Il faut donc s’interroger pourquoi des personnes écrivent de telles absurdités.

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Il est toujours indispensable de flamber le cognac pour le débarrasser de ses acides

 

Commençons par signaler que les producteurs de cognac n’ajoutent pas d’acide sulfurique dans

leurs alcools. C’est seulement une manière d’exprimer l’acidité des cognacs, par exemple. Ainsi,

l’Acidité Volatile (AV) est un paramètre important de la qualité des vins, que l’on utilise pour

désignes toutes les formes (libres et salifiées) des acides volatils potentiellement présents dans le

vin ; il s’agit néanmoins très majoritairement de l’acide acétique. La teneur en AV est mesurée en

“grammes d’acide sulfurique par litre de vin”. L’acidité volatile est un critère de qualité utilisé par

la loi française : un vin est dit “marchand” si celle-ci n’excède pas 0,9 g/L. Les réglementations

vinicoles des autres pays producteurs indiquent des limites comparables.

A ce propos, on évoque l’utilisation d’acidifiants acceptés comme additifs : acides citrique, malique,

ascorbique, acétique (« glacial »), lactique, tartrique, chlorhydrique, sulfurique. Et il n’y a aucune

raison de craindre la consommation alimentaire de ces acides, parce que leurs ions sont déjà

présents dans tous les aliments. Par exemple, il y a des ions chlorure et des ions hydrogène dans

tous les ingrédients un peu acides (fruits, par exemple), et ces ions peuvent tout aussi bien provenir

des plantes que d’ajouts.

On observera aussi que l’acidité en bouche ne dit rien de l’acidité réelle : on a mesuré des pH de

framboises de seulement 2, alors que c’est la même que celle de vinaigres. Et l’on observera que,

avec les gastriques, le pH ne change pas avec l’ajout de sucre (saccharose), même si l’acidité en

bouche disparaît.

Enfin, à propos de cognacs, on fait l’expérience de mesurer le pH de cognacs flambés ou non. Le

pH initial est de 4.08.

On réduit de 71 ml à 18 ml, avec flambage ; cela prend environ 30 minutes, et l’on mesure

ensuite un pH de 3.08 ! C’est donc plus acide, contrairement à ce qui a été écrit.

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dimanche 19 avril 2020

La chimie n'est pas partout !!!

La chimie n'est pas partout !!!


Depuis quelques mois, les aliments font l’objet d’attaques, surtout quand ils sont d’origine industrielle, dans une terrible confusion technique et politique. Ce sont d’abord les
aliments prétendument « ultra-transformés » qui sont contestés, sur la base d’une classification qui n’a pas fait ses preuves scientifiques
[1]. Puis, plus récemment, ce sont les additifs qui sont mis en cause par un député qui réclame leur taxation, avant que ce même député n’attaque les produits de charcuterie. Chaque fois, il y a cette terrible confusion entre
la chimie et ses applications.
La chimie ? Elle est née de l’alchimie, comme l’a bien montré Didier Kahn dans son excellent livre Le fixe et le volatile
 [2]. La transition entre alchimie et chimie avait été discutée par Bernard Joly, professeur émérite de l’Université de Lille et auteur d’une Histoire de l’alchimie [3], qui rappelait bien que l’alchimie était et reste la proie des fantasmes
[4]. Elle est populairement opposée à la chimie, avec d’un côté des divagations irrationnelles, et, de l’autre, le sérieux de la science.
Nos collègues montrent très justement que, jusqu’au début du XVIIIe siècle, l’alchimie était le nom de a chimie.

Quel rapport entre tout cela ? La question essentielle des noms ! Qu’est-ce que l’alchimie ?  La chimie ? La science ? 

Ayant beaucoup erré à ce propos, ayant beaucoup hésité, ayant parfois opté pour des positions intenables, j’en suis aujourd’hui arrivé à signer mes courriels d’un automatique.
« Vive la chimie, cette science merveilleuse qui ne se confond pas avec ses applications » et à militer pour que l’on ne dise pas que la chimie est partout.

Car je maintiens que cela n’est pas exact : la chimie est la science de la nature qui explore les réarrangements d’atomes, et, comme toute science de la nature, elle a un objectif et une
méthode.
L’objectif : comprendre les mécanismes de ces transformations. Sa méthode : l’identification d’un phénomène ; la caractérisation quantitative de celui-ci ; la réunion en lois synthétiques des résultats de mesure ; la production de théories compatibles avec les lois ; la recherche de conséquences
testables des théories ; le test expérimental des conséquences testables ; et ainsi de suite, sans fin, parce que les théories, étant des modèles réduits de la réalité, sont sans cesse perfectibles.

Et c’est ainsi que la chimie n’est pas partout : un individu qui respire ou qui marche met en oeuvre des transformations moléculaires, certes, mais il ne met pas en oeuvre cette méthode des sciences de la nature, et il n’a d’ailleurs pas l’objectif scientifique d’élucider les mécanismes des phénomènes.

De même, l’utilisation d’un savon ou la cuisson d’un aliment n’ont rien de scientifique, de sorte que, si la chimie est une science, alors se laver ou cuire des aliments ne sont pas de la chimie ! Non, la chimie n’est pas partout, mais oui, ses applications sont partout. Et la différence est essentielle pour qui ne veut pas tout confondre, pour qui veut aider ses amis à comprendre plutôt qu’à être dans la
confusion.

Mais il faut s’arrêter à cette hypothèse : « si la chimie est une science ». Car c’est là qu’il y a la question. Au départ, il y a la technique. Puis il y a de la technologie, qui vise à améliorer
les techniques, et l’on se souviendra alors d’Antoine Laurent de Lavoisier qui distinguait bien son étude des bouillons de viande (technologique) de celle de Claude Joseph Geoffroy, dit Geoffroy le Cadet (Paris, 8 août 1685-Paris, 9 mars 1752) qui, lui, avait fait une étude véritablement chimique, scientifique.

Cette position qui consiste à distinguer les trois champs (ce qui conduit à ne reconnaître pour chimie que la partie scientifique) a été très énergiquement soutenue par Louis Pasteur, qui insistait pour distinguer la science de ses applications et voyait comme la plus grande des incohérences la terminologie de « science appliquée » : l’arbre n’est pas le fruit.

Derrière tout cela, il y a la question du mot « science », que les sciences de la nature ont tendance à vouloir confisquer, alors que l’on parle depuis toujours de « science du cuisinier » ou
« science du maître d’hôtel », par exemple, pour désigner un savoir. Mêmes confusions quand le cuisinier Auguste Escoffier prédit que la cuisine deviendra scientifique : s’il pense à une
science de la nature, alors ce n’est plus de la cuisine, puisque c’est une production de connaissances (la « gastronomie moléculaire ») et non pas une production de mets (la « cuisine ») ; et s’il pense à un savoir, alors la cuisine de son temps était déjà une science. D’ailleurs, il faut signaler que cet homme confondait science et rigueur… en en ayant d’étranges notions, puisque ses ouvrages prescrivent par
exemple d’utiliser 0,222 gramme de sel dans certaines recettes, ce qui est à la fois impossible à peser avec des balances au gramme, et idiot, le goût de chacun changeant.

Mais il nous faut revenir au livre de Didier Kahn, à la dénomination de ces pratiques qui ont été parfois nommées alchimiques, et parfois chimiques. Comme la question est complexe, nous commencerons par nous souvenir que les sciences de la nature tiennent sur deux pieds : l’expérimentation, qui est supérieure à toute autorité disait Galilée, et le calcul. La merveilleuse expérimentation… En voici une pour nous replacer en plein coeur des questions qui ont contribué
à l’avènement de la chimie moderne, à la naissance de la chimie à partir de l’alchimie : posons de la laine de fer sur une balance et faisons-la brûler, pour constater que, contrairement à l’intuition, qui voudrait que le fer soit débarrassé d’un « principe », la masse affichée par la balance augmente,
le fer ayant « fixé » l’oxygène. Ceux qui connaissent l’histoire des travaux d’Antoine Laurent de Lavoisier ne manqueront pas de penser à ses études sur la calcination des métaux, grâce auxquelles il combattit l’hypothèse erronée du phlogistique.

La chimie n’est pas partout


D’ailleurs, Lavoisier… Avec Paracelse, il est l’un des deux personnages principaux du livre de Didier Kahn, ce dernier utilisant métaphoriquement l’idée alchimique du fixe et du volatil pour structurer son propos : il y a de fixes les faits établis par la recherche historique, et de volatiles, les légendes,
préjugés qui obscurcissent l’appréciation de l’alchimie.

Ce qui est étonnant, pour en revenir au tout début de cette discussion, c’est que ni les travaux et publications de Bernard Joly, ni ceux du remarquable Robert Halleux, en Belgique, n’ont abattu les idées fausses à propos de l’alchimie. Nos collègues historiens se répéteraient-ils vainement, à dire que l’alchimie et la chimie ne sont pas opposées ? Aurions-nous ici une énième tentative inutile ?

Certainement pas, car l’histoire de la chimie avance, met au jour les faits, affine les idées, au point que l’on prend mieux, progressivement, la mesure exacte de la transition entre alchimie et chimie. On
voit mieux les évolutions, entre des Petrus Bonus (début du XIVe siècle), pour qui « l’alchimie est la science par laquelle sont entièrement connus les principes de tous les métaux, leurs causes, leurs propriétés et leurs maladies, afin que ceux qui sont imparfaits, inachevés, mêlés et corrompus soient transmutés en or véritable », et des Paracelse, pour qui « les procédés de laboratoire n’étaient pas orientés vers la recherche de la pierre philosophale, mais seulement vers la préparation des remèdes.  Il n’est pas de chimie distincte de l’alchimie avant la seconde moitié du XVIIe siècle, le premier à utiliser le nom de « chimie » pour désigner une discipline orientée vers la connaissance
du monde matériel étant Guy de la Brosse (1586-1641). Que ceux que mes discussions terminologiques rebutent ne le soient pas par le livre de Didier Kahn, car ce document merveilleux contient bien plus. Pour moi, je lui dois surtout de m’avoir finalement permis d’exprimer que l’alchimie est devenue vraiment chimie le jour où l’on a cessé de penser qu’une expérience qui          « rate » est fautive, au lieu de penser que la théorie qui la sous-tend est à remplacer.

[1] Académie d’agriculture de France, séance du 2 mai 2018.
[2] Kahn D., Le fixe et le volatil. Chimie et alchimie, de Paracelse à Lavoisier, CNRS Éditions,
2016 ; voir L’Act. Chim., 2016, 411, p. 37.
[3] Joly B., Histoire de l’alchimie, Vuibert, 2013.
[4] Joly B., Quand l’alchimie était une science, L’Act. Chim., 2014, 386, p. 32.
Hervé THIS,
Physico-chimiste INRAE, directeur de l’International Centre for
Molecular Gastronomy AgroParisTech-INRAE, Paris, membre
de l’Académie d’agriculture de France.
*herve.this@agroparistech.fr

Santé et alimentation : attention aux faux semblants statistiques !

























Cours d'Hervé This On dit que l'huile d'olive pénètre moins dans les frites.

 On dit que l'huile d'olive pénètre moins dans les frites.

On rappelle d'abord la densité et la viscosité de l'huile d'olive.

Les valeurs sont (à 20 °C), pour la densité :
- huile d'olive : 908.7 kg/m³
- huile de maïs : 915.3 kg/m³
- huile de colza : 913.3 kg/m³

On observe que la différence est faible.

Pour la viscosité :
- huile d'olive : 74.1 mPa.m
- huile de maïs :59.2 mPa.m
- huile de colza : 63.5 mPa.m

Ainsi, contrairement au sentiment de certains, l'huile d’olive n'est pas plus visqueuse.
Pour nos expériences, nous utilisons
- une balance à 0.01 g
- un thermocouple type K à 0.1 °C.

Puis on discute le mode opératoire, et l'on se résout à faire des fritures à la température de 180°C
On pèse 400 g d'huile tournesol Coppelia, dans une casserole qui sera utilisée pour toutes les
expériences. Pour l'huile d'olive Puget, vierge, elle est également pesée, à 0.1 g près
Les pomme de terre sont des BF15 ; on les taille d'abord assez grosses (Pont-Neuf). Elles ne sont ni
lavées ni épongées.

Nous faisons particulièrement attention à bien comparer la même pomme de terre, au même endroit
de celle-ci, en prenant des bâtonnets symétriquement sélectionnés :



Et les frites ne sont pas épongées à la sortie du bain d'huile, mais seulement déposées sur du papier
absorbant, et pesées froides.

Un premier lot est pesé

A : 14.46
B : 20.81
C : 19.70

Il est frit, mais on a des problèmes de maintient de la température, de sorte que, après 1 minute 35,
les bâtonnets sont très bruns. Ils sont pesés après refroidissement, sans épongeage :

A : 10.78
B : 16.00
C : 15.55




Avec des bâtonnets homologue : même pomme de terre et même endroit du tubercule, on frit à
l'huile d'olive :

D : 15.08
E : 21.57
F : 19.61

Après cuisson :

D : 11.98
E : 17.91
F : 16.28


On observe toutefois que l'expérience n'est pas bonne, en raison de la première cuisson, où l'on
n'avait pas réussi à maintenir la température.




On répète donc l'expérience, mais avec des bâtonnets plus petits (pommes allumettes)
On conserve le temps de cuisson : 1 minute 35.
Cette fois, on règle la cuisson de sorte que la température soit entre 170 et 190 °C


On observe que les frites à l'huile d'olive ont un aspect jugé plus agréable.
Un test triangulaire montre une non reconnaissance, et deux reconnaissances correctes, sans
hésitation, avec une préférence (en aveugle) pour les frites à l'huile d'olive.
On observe que les frites cuites à l'huile d'olive n'ont pas le goût d'huile d'olive.
Pourtant, il n'y a pas de différence significative entre les pertes relatives (donc l’absorption) des frites
à l'huile d'olive ou à l'huile de tournesol.



2.2. On dit qu'il ne faut pas laver les bâtonnets de pomme de terre que l'on veut frire ; il
suffirait de les essuyer avec un papier absorbant et un linge propre.

On taille des frites homologues, comme précédemment, et on en lave une sur deux : on observe que
les frites lavées sont moins jaunes:

On les pèse ::
Lavée : 4.07→ 3.08
Non Lavée : 4.16→ 2.96

Toutefois, l'expérience est ratée, de sorte que l'on recommence, avec deux autres bâtonnets, cuits
ensemble à 173 °C pendant 2 min 30

Lavée : 4.56 → 3.83 (perte relative à la masse initiale : )
Non Lavée : 4.43 → 3.40 (perte relative à la masse initiale : )

La frite lavée paraît plus claire avant et après cuisson. Surtout, les frites non lavées ont un aspect
plus irrégulier (boursouflures) que les frites lavées.

Un test triangulaire montre des différences gustatives:




Cuisine Note à Note Hervé This

La Cuisine Note à Note



La cuisine note à note fait l'objet d'un très fort développement à Singapour, dans des
programmes « Sustainable food without waste ». Cela signifie :
- une forte implication de plusieurs ministères
- une collaboration importante (ministères, universités, institutions de recherche, école de cuisine)
- les interventions du chef André Chiang, lié à la Global Chef Academy At-Sunrice, qui commence
des formations régulières de cuisine note à note, voir par exemple https://www.atsunrice.
com/professional-programmes/continuing-education-modular-wsq/note-by-note-cookingfoundation/#
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A noter que l'académie At-Sunrice commercialise maintenant, régulièrement, des formations pour
"beginners", et qu'apparaissent des formations "intermediates", ainsi que du télé-enseignement. .
Des masterclass « Science et art culinaire » sont données au Cordon bleu : ce sont des cours
publics, gratuits, podcastés, sur un thème, mais selon le format des masterclass, avec des élèves qui
réalisent des plats commentés du double point de vue technique et artistique. La première a eu le 17
janvier, avec quatre élèves qui ont réalisé des plats qui utilisaient les préparations suivantes :

Les geoffroys


En salé :
1. Un blanc d’œuf
2. On fouette de l'huile comme pour une mayonnaise
3. on ajoute des champignons cuits avec persil et ail, broyés
4. rectifier l'assaisonnement

En sucré :
1. Commençons par faire macérer des gousses de vanille fendue en deux dans la longueur dans une
belle huile d'olive.
2. Puis mettons un blanc d’œuf dans un cul de poule, une pincée de sel, et trois cuillerées de sucre.
3. Ajoutons l'huile vanillée en fouettant, comme pour une mayonnaise.
L'émulsion obtenue pourra être servie avec des tranches d'ananas rôties au beurre et des financiers
(ces gâteaux qui, comme les meringues, permettent d'utiliser les blancs d’œufs dont le jaune a été
employé pour lier des sauces).

Les liebigs

Pour les liebigs, l'idée est d'obtenir une émulsion gélifiée.
Dans la mayonnaise, c'est le jaune d’œuf qui apporte des protéines et des phospholipides qui
permettent l'émulsion (ce sont les protéines qui sont le plus actives, pour enrober les gouttes
d'huile). Avec les liebig, c'est la gélatine.
1. partir de 100 g d'un liquide qui a du goût
2. ajouter 10 g de gélatine préalablement trempée
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3. chauffer pour dissoudre la gélatine
4. ajouter une huile parfumée en fouettant comme pour une sauce mayonnaise
5. couler dans une plaque couverte d'un film huilé sur 5 à 10 mm d'épaisseur, et laisser prendre au
froid
On peut aussi faire une émulsion (celle que vous voulez, de la mayonnaise par exemple) et y
dissoudre de l'agar-agar : en chauffant, l'émulsion sera emprisonnée dans un gel physique, et l'on
obtiendra un liebig.

Les Gibbs

Pour un Gibbs vanille (dessert) :
1. Dans un saladier, mettre un blanc d’œuf
2. Ajouter de l'huile d'olive goutte à goutte, en fouettant.
3. Quand on a obtenu une préparation crémeuse, un peu ferme, ajouter du sucre et de l'extrait de
vanille, une pincée de sel, un peu de piment.
4. Répartir dans des tasse, et cuire au four à micro-ondes à pleine puissance, jusqu'à ce que l'on
obtienne un gonflement de 1/4 environ.
5. Servir chaud.
Pour un Gibbs au beurre noisette :
1. Dans une casserole, mettre 200 g de beurre.
2. Chauffer doucement : le beurre fond, puis se met à crépiter.
3. Avant qu'il soit noir, quand une belle odeur apparaît, en même temps qu'un léger brunissement,
cesser de chauffer, et laisser refroidir dans la casserole. C'est ce que l'on nomme un beurre noisette.
4. Quand le beurre noisette obtenu est chaud mais pas solidifié, l'utiliser ainsi :
5. Dans un saladier, mettre deux cuillerées à soupe de poudre de blanc d’œuf.
6. Ajouter 3 cuillerées d'eau, un quart de cuillerée à café d'acide citrique, sel, poivre.
7. Ajouter le beurre noisette en fouettant comme pour une mayonnaise.
8. Quand tout le beurre noisette a été ajouté, bien battre afin d'obtenir une préparation ferme.
9. Mettre dans des bols, et cuire au four à micro-ondes comme pour le Gibbs vanille.

Les debyes

1. donner du goût à 100 g d'huile en macérant un produit broyé (carottes, basilic, café, poireaux...)
2. coller un liquide à raison de 24 g d’agar-agar au litre ; faire durcir au froid
3. broyer le gel au mixer dans l'huile

Les chaptals et vauquelins

Pour les chaptals :

1. Partir d'un blanc d’œuf, dans un saladier.
2. Le fouetter
3. Quand il est en neige ferme, ajouter une cuillère à soupe de sucre
4. Battre
5. Quand la préparation est bien lisse, ajouter une cuillerée à café de jus de pomme verte
6. Battre jusqu'à ce que la mousse soit de nouveau bien ferme.
7. Ajouter alors une cuillerée à soupe de sucre.
8. Battre
9. Ajouter une cuillerée à café de jus de pomme verte.
10. Battre
11. Continuer ainsi à alterner sucre, battage, liquide, battage.

Quand le saladier est plein, répartir son contenu entre deux saladiers que l'on travaille en parallèle,
puis entre quatre saladiers, et ainsi de suite.

Les vauquelins s'obtiennent de la façon suivante :

1. prendre du chaptal précédent, et le mettre dans un bol
2. passer au fours à micro-ondes (pleine puissance) jusqu'à ce que l'on observe un net gonflement
(1/4 environ) ; servir.

Les würtz

1. Dans une casserole, mettre 200 g de jus d'orange avec 50 g de sucre
2. Incorporer 5 g de gélatine préalablement ramollie à l'eau froide.
3. Foisonner
4. Mettre la mousse formée au réfrigérateur.

vendredi 29 novembre 2019

Les cours d'Hervé This / la pate brisée

La pâte à tarte


Peut-on trop briser une pâte, comme le dit François Marin, Dons de Comus :

« Mettez de la farine dessus votre table ou tour à pâte, selon la quantité de pâte que vous voulez
faire. (L’oeil doit guider pour peu que l'on soit dans l'usage.)

Faites un trou au milieu, mettez du beurre ce qu'il en faut, avec trois ou quatre œufs, détrempez le tout avec de l'eau fraîche & du sel ce qu'il en faut, maniez votre pâte & la brisez le mieux que vous pourrez, tenez la ferme, prenez garde de ne point la brûler, à force de la manier, celui lui ôte l’oeil & l'empêche de se lier ; quand elle est reposée, formez-en une abaisse selon la grandeur du pâté que vous voulez faire, & la dressez de la hauteur que vous jugerez à propos en la pinçant toujours également avec les deux mains pour que la pâte se soutienne. quand c'est pour des pâtés dressés, vous pouvez la faire à l'eau chaude, pour lors vous diminuez de moitié la quantité de beurre. »

Nous manquons de temps, au cours de ce séminaire, pour tester plus que cette seule précision
culinaire, car nous voulons aussi discuter la cuisson des œufs (voir plus loin).

La discussion porte d'abord sur les notions de pâtes « brisées » et « sablées ». On observe que les
professionnels parlent aussi de pâte sucrée, de pâte à foncer, sans parler de pâtes plus particulières,
tels que la pâte feuilletée, par exemple.

On rappelle que la différence entre pâtes brisées ou sablées n'est pas dans les ingrédients, mais dans
les procédés, et, surtout, dans les résultats : une pâte sablée doit être… sablée !

Pour explorer cette question, nous en proposons une rapide modélisation :

1. quand on malaxe de la farine avec de l'eau, les protéines du « gluten » forment un réseau qui
enchâsse les particules d'amidon ; plus la pâte est travaillée, plus ce réseau est ferme

2. quand on malaxe de la farine avec du beurre, on peut arriver à faire un « sable mouillé » ou,
selon les proportions, à disperser la farine dans le beurre : les grains d'amidon sont alors enchâssés
dans la matière grasse.

3. on n'oublie pas que le beurre peut contenir jusqu'à 18 pour cent d'eau, qui peut contribuer à la
formation du réseau de gluten.

4. le travail de la pâte, au contact de la température ambiante et des mains, conduit à la fonte
progressive du beurre.

5. si la pâte est faite avec de l’œuf, ce dernier apporte des protéines, qui, à la cuisson, peuvent
coaguler et contribuer à la tenue de la pâte cuite.

6. s'il y a du sucre (et suffisamment), alors il peut capter l'eau qui forme le réseau de gluten, ce qui
fait une pâte collante (sirop) et coulante (dispersion des grains d'amidon dans le sirop) ;                 c'est l'« effet sucre »

De ce fait, on pourrait imaginer que le travail de la pâte la renforce.
 En revanche, on voit mal ce que « brûler » pourrait signifier.

On observe que Marin évoque une apparence visuelle dégradée, et une tenue réduite.
Pour nos expérimentation, nous utilisons 250 g farine type 55, 125 g de beurre, 1 œuf entier, du sel,
et de l'eau au besoin.

La pâte est légèrement travaillée, comme pour une pâte « sablée ».
Puis elle est divisée en deux moitiés égales, et une moitié est fraisée considérablement,
volontairement.

 Il est certain que le travail conduit à échauffer la moitié travaillée davantage : on a l'impression que le beurre « ressort », que la pâte est plus lisse, et elle colle davantage.


Les deux pâtes sont ensuites abaissées à la même épaisseur, et cuites ensemble, à la température de
180 °C, pendant 20 minutes, sur une même plaque, dans un même four.
Au sortir du four, les deux pâtes sont différentes : la pâte plus travaillée apparaît plus lisse :
contrairement à ce qui était dit, l'aspect est plus intéressant.
Elle est peut-être plus feuilletée.
Des tests triangulaires conduisent à une majorité de bonne reconnaissance. La pâte la moins
travaillée semble « plus croustillante ». En tout cas, le terrible « brûler » n'est pas si terrible que cela !












Les cours d'Hervé This / A propos de beurre noir

A propos de beurre noir


En 1853, Bernardi écrit, dans Le cuisinier national de la ville et de la campagne (ex Cuisinier
royal), Viart, Fouret et Délan, augmenté de 200 articles nouveaux, Paris, Gustave Barbu, 1853, p
62, que, pour faire un beurre noir, il fait bouillir et noircir du beurre, puis le verse dans du vinaigre.
A-t-on le même résultat en faisant l’inverse ?
On observe tout d'abord que le beurre noir est ainsi décrit dans le Guide culinaire (Escoffier,
Gilbert, Fetu) :
Beurre noir. – Pour les grands services. Prop. : 15 grammes par 10 personnes. – Fondre et cuire le
beurre au degré qui le fait dénommer « beurre noir » ; passer à la mousseline dans un bain-marie
et laisser refroidir. Quand il n'est plus que tiède, l'additionner de 1 cuillerée à café de vinaigre
réduit avec mignonnette. Chauffer à point au moment de servir, et ajouter quelques feuilles de
persil frit au beurre et 1 cuillerée à café de câpres, sur l'objet qui doit être arrosé avec le beurre
noir.

En passant, on observe :

1. qu'il est scandaleux que, passée la première édition de ce livre, seul subsiste le nom d'Escoffier, et
que les autres noms aient été supprimés

2. que ce livre est mauvais, avec de nombreuses erreurs, même dans les éditions ultérieures. Par
exemple, alors que Philéas Gilbert (un des auteurs, donc) fait bien la différence entre sauces
rémoulade (avec moutarde) et mayonnaise (sans moutarde) (il écrit « la moutarde est le savorisme
particulier de la rémoulade »), on voit le Guide culinaire proposer de la moutarde dans ce qui est
alors fautivement nommé « mayonnaise » ; et j'en passe (confusion mousse/mousseline, etc.).
Il faut donc se tourner vers des livres plus fiables. Par exemple, la Cuisine classique d'Urbain
Dubois :

274. — Sauce beurre noir.
Versez dans une casserole un décil. de vinaigre, additionnez au liquide 8 à 10 grains de poivre, 2
feuilles de laurier; posez la casserole sur feu, faites réduire le liquide de moitié, retirez-le du feu. —
Faites fondre dans une poêle 4 à 500 gram. de beurre; aussitôt qu'il commence à noircir, plongez
dans le liquide quelques feuilles de persil vert; laissez-les frire quelques secondes, retirez la poêle
du feu; écumez le beurre, versez-le dans la casserole du vinaigre, après avoir retiré le poivre et le
laurier; donnez un bouillon au liquide, retirez-le, ajoutez quelques cuillerées de câpres entières.

On observe ici que le beurre cuit est versé dans le vinaigre.
Je ne trouve pas de beurre noir chez Marie Antoine Carême, donc Urbain Dubois fut un élève, mais
j'en vois dans les Délices de la campagne, de Nicolas de Bonnefons (1655), sans que la recette soit
donnée.

Une discussion a lieu à propos d'une possible interdiction du beurre noir, mais pour des questions de
nutrition/toxicologie, on renverra vers une étude récente :

https://www.rlf.fr/actualites/beurre-cuit-la-fin-d-un-tabou:S2TGZBCD.html
L'article scientifique qui fonde cette description est :
Céline Niquet-Léridona, Philippe Jacolota, Claude-Narcisse Niambab, Nicolas Grossinc, Eric
Boulangerc, Frédéric J. Tessier, The rehabilitation of raw and brown butters by the measurementof
two of the major Maillard products, N-carboxymethyl-lysine and 5-hydroxymethylfurfural, with
validated chromatographic methods, Food Chemistry 177 (2015) 361–368

Pour nos expériences, on utilise d'abord 125 g de beurre, que l'on cuit jusqu'à une teinte plus foncée
qu'un beurre noisette, et on verse environ 20 grammes de vinaigre dedans.
Puis on répète l'opération avec la même quantité de beurre, cuite de façon analogue, que l'on verse
dans le vinaigre. On observe alors la formation d'une mousse abondante.



Après un peu de repos, on voit que la préparation où le vinaigre a été ajouté au beurre est trouble,
alors que la préparation où le beurre a été ajouté au vinaigre est limpide. On sait l'importance de la
clarté pour les cuisiniers, ce qui justifierait la pratique proposée (et, en tout cas, on voit une
différence entre les deux préparations)


On répète l'expérience, mais en divisant cette fois le même beurre cuit en deux parties, afin qu'il soit
le même dans les deux cas, et on retrouve le même effet.
Puis on fouette toutes les préparations : on ne parvient pas à émulsionner.
On observe enfin qu'il y a plus d'odeur et de goût de vinaigre pour les préparations où le vinaigre a
été ajouté au beurre. Inversement, quand le beurre a été ajouté au vinaigre, on ne sent plus l'acidité.
Ce phénomène reste à interpréter.

Cour d'Hervé This / Une étrange béarnaise

Une étrange béarnaise

Pour le premier teste, nous partons d'un ouvrage non daté, mais qui semble avoir 50 à 100 ans :
Sd : Par les Dames Patronnesses de l’Oeuvre du Vêtement de Grammont, 760 recettes de cuisine
pratique, Grammont, p.32 : « Sauce béarnaise très fine. Battez un jaune d’oeuf fortement pendant
un quart d’heure. Ajoutez-y un peu à la fois un morceau de beurre gros comme un oeuf que vous
avez d’abord ramolli à la bouche du four. Battez encore pendant vingt minutes, et ajoutez-y une
cuillerée à soupe de vinaigre à l’estragon et une pincée de persil haché, salez poivrez ».
Cette recette de béarnaise à froid, en quelque sorte, est étrange, et l'on observe ici qu'aucun des
participants du séminaire n'avait d'idée à propos d'un éventuel résultat.
Un participant accepte de faire la recette : au fouet manuel, dans une casserole.
Nous partons de deux jaunes d’oeufs.
Après 10 minutes de battage, on observe que les jaunes blanchissent, ce qui s'explique évidemment
par l'introduction de bulles d'air (on en voit à l’oeil nu).


Puis on met le beurre, tout en fouettant : en quatre parties, nous utilisons environ 150 grammes de
beurre.
Initialement, nous avions prévu d'ajouter 1/4 du beurre préparé (il faisait 25 °C, et le beurre était
très mou) toutes les 5 minutes, mais le durcissement de la préparation nous oblige à ajouter le 2e
quart après seulement 2 minutes de battage.
Progressivement la masse prend du corps, devient ferme (après 10 minutes, notamment), très
blanche, et l'on obtient une consistance de crème au beurre (salée, donc).
On ajoute finalement 2 cuillerées à soupe de vinaigre (puisque nous avons utilisé 2 jaunes), et nous
avons donc une préparation très éloignée d'une béarnaise.



On observe que le nom de béarnaise est donc usurpé, pour cette recette. La préparation n'ayant pas
été nommée, il faut le faire avec un nom loyal, qui ne prête pas à confusion : on veut éviter le nom
de crème au beurre salée, parce que ce nom classique est assez faux, en ce sens qu'il ne contient
précisément pas de crème ! Ici, avec des jaunes et du beurre, pourquoi n'aurions-nous pas
simplement des « jaunes au beurre » ?
On observe tout d'abord que l'on ignore pour l'instant la microstructure de ce produit. On suppose
la présence de bulles d'air, mais aussi une émulsion, avec dispersion soit d'eau dans la matière
grasse, soit de matière grasse dans l'eau. L'étude est à faire.
On observe ensuite que le travail a été très long (35 minutes de battage au total), mais le résultat
était obtenu après un battage total de 20 minutes. De surcroît, il n'est pas certain que le battage
initial (10 minutes) ait été utile, ce qui permettrait de réduire à 10 minutes. Bien sûr, cela peut se
faire au batteur électrique, par exemple, ou par tout autre moyen plus moderne.
Enfin, on observe que, dans les crèmes au beurre, on ajoute un sucre cuit pour des raisons
microbiologiques, mais les produits alimentaires sont réputés protégés si le pH est inférieur à 4,6.
Or ici, la recette stipule d'ajouter 2 cuillerées à soupe de vinaigre.
Dans un tel cas, avec 2 jaunes d’oeuf, la quantité d'eau est d'environ 30 grammes. Avec 20 grammes
d'eau, cela fait un pH de Le pH de 4,6 est donc obtenu avec une masse de vinaigre égale à 2.51, ce
qui est bien inférieur à ce qui est nécessaire (pensons toujours qu'une petite quantité d'acide fait une
forte acidité si c'est dans une petite quantité d'eau!).


Astuce par Hervé This

On a testé une précision culinaire extraite de Trucs et astuces de nos grands-mères, 




Nicolas Priou, Page 29 : « Bouchon de liège. Ne jetez plus vos bouchons de liège : ils seront très utiles dans de multiples utilisations dans votre cuisine. Dans votre corbeille de fruits, coupés en deux, ils éloigneront les petites mouches à fruits et permettront ainsi une conservation prolongée. Jetés dans
l'eau de cuisson des poulpe, calamars et haricots blancs, ils attendriront les premiers, et éviteront
aux haricots d'éclater. »

Plus précisément, c'est seulement l'effet sur les corbeilles de fruits qui a été testé : avec des
bouchons coupés en deux selon la longueur ou en travers… et ils n'ont absolument pas évité les
petites mouches à fruit !

Il reste à tester les autres effets… sans beaucoup d'espoir, mais attendons.

Cours d'Hervé This / A propos des « réactions de Maillard »

A propos des « réactions de Maillard » :

 Hervé This est fautif de la situation actuelle où l'on parle à tort et à travers de réactions de Maillard (alors qu'il avait quand même pris des précautions oratoires). Et la situation est que l'on entend dire partout que le brunissement des produits alimentaires est dû « à la réaction de Maillard ».
Cela est faux pour de nombreuses raisons.
D'abord, il n'y a pas une réaction de Maillard, mais « des » réactions de Maillard, et, ensuite, les
réactions de Maillard ne sont qu'une sorte de réactions qui conduisent au brunissement des aliments
chauffés.
Ajoutons que, de surcroît, ces réactions n'ont pas seulement lieu à haute température, comme le
disent certains (elles sont seulement plus rapides à haute température), et la preuve en est
malheureusement l'opacification du cristallin des personnes qui souffrent de diabète, ce qui résulte
bien, en l'occurrence, de réactions de Maillard, à la température basse de 37 °C.
Pour se convaincre que les réactions de Maillard ne sont pas omniprésentes et responsables de
brunissement, on pourra faire l'expérience de chauffer à sec : -
- de la farine (polysaccharides et protéines)
- de la fécule
- de la poudre de blanc d’oeuf (protéines)
On observera alors que la farine brunit, que la fécule reste blanche, et que la poudre de blanc d’oeuf
brunit très vite : cette expérience indique que le chauffage des protéines suffit à faire brunir.

On pourra aussi s'amuser à chauffer du glucose ou du fructose dans de l'eau, et l'on verra un
brunissement, par des réactions de « déshydratation intramoléculaire des hexoses » : cela signifie
que les atomes des molécules de ces sucres se réarrangent, formant des composés bruns.
D'autre part, on lira Hervé This, 2016. “Maillard products” and “Maillard reactions” are much
discussed in food science and technology, but do such products and reactions deserve their
name? Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France / Academic Notes from the
French Academy of Agriculture , 3, 1-10. pour bien comprendre que l'on désigne souvent sous le
nom de réactions de Maillard ce qui doit être nommé « réactions de Fischer », du nom du chimiste
allemand Emil Fischer (https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/1902/fischer/biographical/),
qui était quand même d'une pointure bien supérieure à Maillard.

Pour terminer, disons que les brunissements au chauffage sont dus à de très nombreuses réactions :
dégradation des protéines, déshydratation intramoléculaire des sucres, caramélisations, réactions
d'hydrolyse, d'oxydations, réactions de Fischer, réactions de Maillard… et bien d'autres !
Vu sur une vidéo un chef qui prétendait que « les chocs thermiques protègent la chlorophylle » : cela est parfaitement faux.

Et pour plusieurs raisons :
1. il n'existe pas « la » chlorophylle (c'est une notion qui date d'un siècle, chimiquement périmée!),
mais des chlorophylles.

2. les couleurs vertes des végétaux verts ne sont pas dues seulement aux chlorophylles, mais aussi à
des pigments nommés caroténoïdes… et les changements de couleurs qui s'observent lors des
cuissons des légumes verts résultent des modifications de tous les pigments.

3. méfions-nous des prétendus « chocs thermiques » : penser que les changements rapides de température ont des conséquences terribles est souvent d'une grande naïveté

Illustration 1:



4. pour les chlorophylles, le « choc thermique » n'a rien à voir à l'affaire ; en revanche, le
brunissement a lieu quand la cuisson est longue ; si on arrête la cuisson, on réduit le temps de
chauffage des chlorophylles, et l'on évite leurs modifications qui se font à la chaleur

5. pensons que le bicarbonate protège les chlorophylles contre les acides (qui font brunir), et
accélère la cuisson des végétaux, ce qui est bon pour réduire le temps de chauffage des
chlorophylles