La pâte à tarte
Peut-on trop briser une pâte, comme le dit François Marin, Dons de Comus :
« Mettez de la farine dessus votre table ou tour à pâte, selon la quantité de pâte que vous voulez
faire. (L’oeil doit guider pour peu que l'on soit dans l'usage.)
Faites un trou au milieu, mettez du beurre ce qu'il en faut, avec trois ou quatre œufs, détrempez le tout avec de l'eau fraîche & du sel ce qu'il en faut, maniez votre pâte & la brisez le mieux que vous pourrez, tenez la ferme, prenez garde de ne point la brûler, à force de la manier, celui lui ôte l’oeil & l'empêche de se lier ; quand elle est reposée, formez-en une abaisse selon la grandeur du pâté que vous voulez faire, & la dressez de la hauteur que vous jugerez à propos en la pinçant toujours également avec les deux mains pour que la pâte se soutienne. quand c'est pour des pâtés dressés, vous pouvez la faire à l'eau chaude, pour lors vous diminuez de moitié la quantité de beurre. »
Nous manquons de temps, au cours de ce séminaire, pour tester plus que cette seule précision
culinaire, car nous voulons aussi discuter la cuisson des œufs (voir plus loin).
La discussion porte d'abord sur les notions de pâtes « brisées » et « sablées ». On observe que les
professionnels parlent aussi de pâte sucrée, de pâte à foncer, sans parler de pâtes plus particulières,
tels que la pâte feuilletée, par exemple.
On rappelle que la différence entre pâtes brisées ou sablées n'est pas dans les ingrédients, mais dans
les procédés, et, surtout, dans les résultats : une pâte sablée doit être… sablée !
Pour explorer cette question, nous en proposons une rapide modélisation :
1. quand on malaxe de la farine avec de l'eau, les protéines du « gluten » forment un réseau qui
enchâsse les particules d'amidon ; plus la pâte est travaillée, plus ce réseau est ferme
2. quand on malaxe de la farine avec du beurre, on peut arriver à faire un « sable mouillé » ou,
selon les proportions, à disperser la farine dans le beurre : les grains d'amidon sont alors enchâssés
dans la matière grasse.
3. on n'oublie pas que le beurre peut contenir jusqu'à 18 pour cent d'eau, qui peut contribuer à la
formation du réseau de gluten.
4. le travail de la pâte, au contact de la température ambiante et des mains, conduit à la fonte
progressive du beurre.
5. si la pâte est faite avec de l’œuf, ce dernier apporte des protéines, qui, à la cuisson, peuvent
coaguler et contribuer à la tenue de la pâte cuite.
6. s'il y a du sucre (et suffisamment), alors il peut capter l'eau qui forme le réseau de gluten, ce qui
fait une pâte collante (sirop) et coulante (dispersion des grains d'amidon dans le sirop) ; c'est l'« effet sucre »
De ce fait, on pourrait imaginer que le travail de la pâte la renforce.
En revanche, on voit mal ce que « brûler » pourrait signifier.
On observe que Marin évoque une apparence visuelle dégradée, et une tenue réduite.
Pour nos expérimentation, nous utilisons 250 g farine type 55, 125 g de beurre, 1 œuf entier, du sel,
et de l'eau au besoin.
La pâte est légèrement travaillée, comme pour une pâte « sablée ».
Puis elle est divisée en deux moitiés égales, et une moitié est fraisée considérablement,
volontairement.
Il est certain que le travail conduit à échauffer la moitié travaillée davantage : on a l'impression que le beurre « ressort », que la pâte est plus lisse, et elle colle davantage.
Les deux pâtes sont ensuites abaissées à la même épaisseur, et cuites ensemble, à la température de
180 °C, pendant 20 minutes, sur une même plaque, dans un même four.
Au sortir du four, les deux pâtes sont différentes : la pâte plus travaillée apparaît plus lisse :
contrairement à ce qui était dit, l'aspect est plus intéressant.
Elle est peut-être plus feuilletée.
Des tests triangulaires conduisent à une majorité de bonne reconnaissance. La pâte la moins
travaillée semble « plus croustillante ». En tout cas, le terrible « brûler » n'est pas si terrible que cela !
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