vendredi 29 novembre 2019

Cours D'Hervé This / Le ciselage du persil

Le ciselage du persil

Nous partons d'une précisions culinaire donnée par Joel Robuchon, dans L’Atelier de Joël
Robuchon, Hachette, Paris, 1996, p. 42 :
« Découpé aux ciseaux, le persil dégage une saveur plus intense que haché au couteau ».

Ici, on commence par discuter le mot « saveur », parce que la saveur n'est pas identifiable, dans les
conditions habituelles de dégustation : seul le « goût » est accessible.
Pour expliquer ce point important, on propose aux participants de commencer par se pincer le nez,
et, le nez pincé, de mettre en bouche du thym qui leur est donné. On mastique, on analyse ce que
l'on sent (la « saveur »), puis on libère le nez, et s'ajoute alors l' « odeur » (rétro nasale) à la saveur,
ce qui fait -au total- le « goût ».

Il faut expliquer que, lors de la mastication, l'aliment libère des composés solubles dans l'eau de la
salive : ces composés peuvent contribuer à la saveur. Et la mastication libère aussi des composés qui
ne sont pas solubles dans l'eau, ou très peu solubles, et ces composés passent alors dans l'air de la
bouche, et montent vers le nez par des fosses « rétro nasales », entre la bouche et le nez. A noter que
les composés qui sont ainsi « sentis » par le nez, lors de la dégustation, sont les mêmes que ceux qui
donnent de l'odeur orthonasale, quand on hume par les narines.

Bref, avec le thym, on s'aperçoit qu'il n'y a quasiment pas de saveur, mais qu'une odeur rétro nasale
apparaît quand on libère les narines : le goût du thym est principalement dû à l'odeur, et quasiment
pas à la saveur. A noter, de surcroît, que le mot « arôme » désigne l'odeur des plantes aromatiques,
que ce soit de façon anténasale (par les narines) ou rétro nasale (par les fosses rétro nasales). Tout
autre usage du mot « arôme » est donc très idiosyncratique ou fautif, ou malhonnête, et nous devons
combattre l'usage du mot « arôme » pour tout autre produit qu'une plante aromatique, qu'un
aromate. Notamment, on doit se réjouir que l'industrie de ce qui est hélas trop souvent nommé
« arôme » soit en passe de changer pour le mot « aromatisant », qui est bien plus juste.


Puis on répète l'expérience précédente avec du sucre blanc : cette fois, on sent bien la saveur sucrée,
quand le nez est pincé… mais aucune sensation supplémentaire n'apparaît quand on libère le nez.
Autrement dit, le sucre blanc n'a pas d'odeur, mais seulement de la saveur. Et le goût du sucre blanc
est tout entier dans sa saveur.

On répète ensuite l'expérience avec du persil, et l'on voit cette fois que le persil a très peu de saveur,
quand on le mastique, mais qu'il a de l'odeur, donc de l'arôme puisque le persil est une plante
aromatique. En réalité, le persil a aussi un peu de saveur, mais très peu.
Et on observe donc que Joel Robuchon avait tort de parler de saveur.

Pour les expériences qui testent l'arôme et le « goût » du persil, nous utilisons un couteau et un
ciseau. Nous coupons au couteau, et nous ciselons au ciseau.
Les manipulateurs (professionnels ) disent que le persil coupé au couteau a plus d'odeur, ce qui est
le contraire de ce qu'a écrit Robuchon.

Mais, surtout, nous organisons un test triangulaire pour savoir si des personnes reconnaissent une
différence entre le persil coupé au couteau et le persil coupé au ciseau. Et, de fait, seule une
personne sur 4 reconnaît la différence, lors d'un test… et elle se trompe ensuite plusieurs fois.

Nous concluons que nous ne faisons pas de différence, en ne faisant que sentir.
Puis nous organisons un test triangulaire pour savoir si l'on ferait une différence en goûtant, en nous
disant toutefois, avant l'expérience, qu'il y a un risque que les jurés fassent la différence non pas sur
le goût mais sur la taille des morceaux (plus petits au couteau qu'au ciseau)… et les tests
triangulaires montrent également que les jurés ne font pas de différence, à partir du goût.

Enfin, parce que nous avons l'idée qu'une plus grande division du persil pourrait faire la différence,
nous comparons par des tests triangulaires du persil broyé et du persil coupé au couteau. Cette fois,
la reconnaissance est parfaite, avec une odeur bien plus importante au mortier et au pilon, mais en
observant toutefois que l'odeur du persil broyé au mortier est plus « végétale ».

On observe aussi que le persil broyé au mortier et au pilon est d'une couleur moins agréable : on se
reportera au séminaire sur le pistou du 21 février 2011 pour comprendre le phénomène et le
combattre éventuellement (à l'aide d'acide ascorbique).

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