des questions à propos de
sauces hollandaises
La sauce hollandaise a beaucoup varié, au cours du temps, et l'on donne ici
plusieurs recettes :
Marie Antoine Carême (1847 ) : Après avoir
cassé 6 jaunes dans une casserole à ragoût, vous y mêlez un peu de beurre très
fin, du sel et du poivre, de la muscade râpée, une cuillère à ragoût de sauce
allemande (2/3 jaunes, 5 cl de fond blanc de veau ou de volaille, 5 cl de velouté réduit à la nappe, 50 g de
beurre ; velouté = fond blanc réduit + crème fraîche, réduit à la
nappe). Et idem de glace de viande de poulet ; remuez cette
sauce à feu très doux, et, à mesure qu'elle se lie, vous y joignez un peu de
beurre à trois ou quatre reprises, en ayant soin de remuer sans cesse. Au moment du service, vous y versez un peu de
bon vinaigre ordinaire, afin de la rendre appétissante et relevée ;
ajouter un bon morceau de beurre.
On trouve aussi Carême, L’Art de la cuisine française au XIXe siècle (avec Plumerey pour
les deux derniers tomes), Éditions De Kérangué et Pollès, 1981 (première édition en 1801), t.
I, p. 126 :"Il faut avoir soin de cuire les œufs avant d'y additionner le
beurre par parties, ainsi qu'il est indiqué".
Carême, L’Art de la cuisine
française au XIXe siècle (avec Plumerey pour les deux derniers tomes),
Éditions De Kérangué et Pollès, 1981
(première édition en 1847), t.3 p. 51, à propos de hollandaise : Il ajoute du
vinaigre avant de servir "afin" de la rendre appétissante. "Le
fameux Laguipierre, en ajoutant à cette sauce un peu de velouté (ou
d'allemande) et de glace de volaille, l'a rendue succulente et parfaite. Par
l'addition de velouté, il a donné à cette sauce assez de corps pour lier et cuire les jaunes d’œufs à point ;
tandis que la sauce hollandaise est sujette à tourner le beurre en huile en
décomposant aisément lorsqu'elle attend".
Jules Gouffé : Faire réduire de moitié 2 cuillerée
de vinaigre, 5 g de sel, 3 g de poivre. 2 cuillerées d'eau froide et 2 jaunes.
Monter. Ajouter 125 g de beurre par 20 g jusqu'à ce qu'il soit fondu à chaque
opération. Ajouter un peu d'eau froide pour
empêcher la sauce de tourner. Observation : certains ajoutent à
tort de la fécule ou de la farine.
Baron Brisse, Ildefonse, La
cuisine l’usage des ménages bourgeois et
des petits ménages,environ 1875, C. Marpon et E. Flammarion, Paris, p.
32 : « Sauce hollandaise. C’est une sauce blanche sans
farine » !!! Impossible, car il dit p. 30 que la sauce blanche se
fait avec farine et eau. Mais il donne ensuite la bonne recette, avec œufs et
beurre.
La petite cuisine des
ménages (anonyme), Emile Guérin ed., Paris (sd, vers
1886), p. 22 : hollandaise, faite
de beurre fondu avec un jus de citron, fouetté et du sel !
Auguste Colombié, Traité
pratique de cuisine bourgeoise, 1893, p. 152, à propos de hollandaise : au
cas où elle tournerait, on peut la ramener en ajoutant une cuillère à café d’eau
fraîche ».
Philéas Gilbert, La cuisine
de tous les mois, Ollendorff éditeur, Paris, 1898, p. 299 :
« S’il arrivait que cette sauce restât claire, au lieu d’attendre son
épaisseur caractéristique, c’est que la conduite aurait eu lieu sur un feu trop
doux et que la cuisson des jaunes ne serait pas complète. Il faudrait en ce cas
la rapprocher du feu pour atteindre le
point de liaison normale. Si, au contraire, la sauce trop chauffée venait à se décomposer, il faudrait
y ajouter immédiatement quelques gouttes d’eau froide et la travailler
vigoureusement avec le fouet pour la ramener à son état primitif. Si la
décomposition était trop absolue, le seul moyen de remettre la sauce au point
serait de prendre un jaune d’oeuf dans une petite casserole et j’y ajouter
cette sauce par petites parties ».
Jean de Gouy, La cuisine et
la pâtisserie bourgeoises, 1899, réed 1903, J. Lebegue, Bruxelles et Paris,
p. 98 : « Sauce hollandaise. Divisez en petits morceaux 3 c à b de
beurre fin, mettez-les dans une casserole de haute forme avec 5 jaunes d’œufs,
2 c à b d’eau froide, le jus d’un citron. Fouettez sans cesser, à feu doux […]
Une dizaine de minutes après, la sauce aura acquis le double de son volume
primitif, sera devenue crémeuse ».
Guide culinaire (1901) : 4 cuillerées d'eau
et 2 cuillerées de vinaigre, pincée de sel et poivre mignonnette, retirer du
feu, au bain marie, ajouter 5 jaunes d’œufs et 1 cuillerée d'eau froide,
monter 500 g de beurre, et ajouter 3 à 4 cuillerées d'eau froide, jus de citron
Gringoire et Saulnier (émanation du Guide
culinaire, même époque) : réduction de mignonnette au vinaigre, presque à sec,
ajouter jaunes d’œufs, fouetter petit à petit soit du beurre frais, soit du beurre fondu par petites quantité et un peu
d'eau ou de crème de temps en temps pour obtenir une consistance régulière.
Passer à l'étamine et compléter l'assaisonnement par un jus de citron et une
pincée de sel.
Phileas Gilbert (début du 20 e siècle):
Au bain marie, faire réduire de moitié 2 cuillerée de vinaigre avec une pincée
de sel fin et du poivre blanc, ajouter une cuillerée d'eau froide et 3 jaunes d’œufs, et 25 g de beurre
divisé en petites parcelles. Monter à l'aide d'une cuillère en bois ou d'un
fouet. Ajouter encore 150 g de beurre en
petites parcelles, et 3 à 4 cuillerées d'eau froide. Quelques gouttes de jus de
citron.
Edouard Nignon, Eloge de la cuisine française, Paris, Inter-livres,
1920, p. 73 : « Certains maisons ne craignent pas de servir, décorées
du nom de sauce hollandaise, des sauces à la farine […] ; ces procédés
sont aussi préjudiciables à la qualité des mets qu’au bon renom de l’établissement,
parce qu’ils sont la fâcheuse conséquence d’une erreur de principe ».
Madame Saint-Ange (1925) : 150 g de beurre, 2 jaunes, 5 cuillerées à
soupe de lait bouilli refroidi, 1 cuillère à soupe de fécule, jus de citron.
Faire un roux avec 3 cuillerée à soupe de lait, ajouter les jaunes, délayer à
froid, cuire à épaississement, ajouter le beurre par parcelles hors du feu, puis chauffer, fouetter, et ainsi de
suite, ajouter jus de citron et lait tiède pour donner de la légèreté à la
sauce.
La
hollandaise est protégée par une pincée de farine (St Ange p, 116) "elle
n'est là que pour soutenir les jaunes d’œufs, les empêcher de cailler".
Puis "c'est ainsi que certains chefs mélangent une cuillerée de sauce
veloutée... le principe est le même".
Saint Ange p. 113 : "tout brusque coup de chaleur risque de
la faire se décomposer». Pourquoi serait-ce la brusquerie qui serait néfaste ?
Saint Ange, p. 115, dit qu'il y a "cuisson progressive des jaunes"
Prosper Montagné (L'art culinaire française,
début du 20 e) : Hollandaise,
dite sauce d'Isigny. 1/2 décilitre d'eau paillassonnée de sel fin, laisser
refroidir, ajouter 4 jaunes d’œufs et 1 cuillère à soupe d'eau froide. Monter avec 400 g de
beurre, ajouter 1 à 2 cuillère à soupe d'eau pour la consistance et un filet de
citron.
Prosper
Montagné, Mon menu, Société
d’applications scientifiques, Paris (sd), p. 383 : « Sauce hollandaise.
Faites réduire à plein feu, dans une petite casserole, 4 cuillerées d’eau
assaisonnée d’une pincée de sel et d’une pincée de poivre
mignonnette ». C’est ahurissant, de
réduire de l’eau!
Mazard, La cuisinière des cuisinières, Librairie
nationale d’éducation et de récréation, p.19 (postérieur à 1925) :
« Sauce hollandaise. Mettez sur un feu doux dans une casserole un morceau
d’excellent beurre, avec une cuillerée de farine et faites fondre très
doucement, en tournant avec la cuillère. Ayez de l’eau bouillante dans une
cafetière et versez goutte à goutte cette eau chaude dans la casserole comme
pour faire une mayonnaise en tournant toujours avec la cuillère ».
Larousse gastronomique (20 e) :
réduire aux deux tiers 5 cL d'eau avec
une pincée de sel et 1 pincée de mignonnette. Dès que les jaunes sont pris en
pommade, ajouter 5 jaunes délainés dans une cuillerée d'eau. Au bain marie,
monter au fouet 500 g de beurre fondu. Durant le montage, ajouter peut à peu 2
c d'eau pour terminer quelques gouttes de jus de citron.
Paul Bocuse, La cuisine du marché, p. 102 : « Le
commencement de cuisson qui doit être donné aux jaunes d’oeuf sera plus lent et la réussite plus
certaine. Il s’agit en effet de créer,
pour le beurre utilisé, une liaison -un support extrêmement onctueux- et
un excès de chaleur, ou une cuisson trop prolongée des jaunes les solidifierait
en particules graineuses et leur ferait perdre leur propriétés liantes, leur
onctuosité. En conséquence, cette première opération, la plus difficile, consiste à émulsionner les jaunes en les soumettant à une
chaleur progressive qui détermine l’épaississement très lisse et crémeux de la
masse ».
André Daguin, Le nouveau
cuisinier gascon, Editions Stock, Paris, 1981, p.83 : à propos d’une
hollandaise : « Montez une sauce hollandaise en faisant réduire de ¾ de son volume l’eau salée [1/4 de litre].
Laissez refroidir la casserole avant d’y jeter les [4] jaunes d’oeufs, plus une
cuillerée d’eau froide. Posez la casserole sur le coin de la plaque de la
cuisinière et travaillez au fouet jusqu’à ce que les œufs moussent et doublent
de volume. Incorporez le beurre fondu [350 g] mais pas trop chaud ».
Michel Maincent : 4 jaunes, 2 cuillerées d'eau froide. Monter les jaunes et incorporer le beurre clarifié, sel fin,
poivre de Cayenne, jus de citron.
Michel Maincent autre : pour 16 jaunes, 100
g d'eau froide, 1 kg de beurre, 150 g de jus de citron, sel fin, piment de
Cayenne. Clarifier le beurre. Mettre
les jaunes dans une sauteuse, ajouter l'eau froide. Placer la sauteuse sur le
coin de la plaque et fouetter énergiquement en forment des huit. Le sabayon
doit augmenter de volume. Retirer la sauteuse du feu, ajouter éventuellement un
peu d'eau froide. Ajouter le sel et le jus de citron. Incorporer
progressivement le beurre clarifié en fouettant. Si la sauce épaissit trop,
ajouter de l'eau froide. Rectifier l’assaisonnement
Pour nos essais, nous décidons de produire trois
hollandaises :
H1 : on met les jaunes avec de l'eau, on
monte un sabayon, puis on ajoute du beurre clarifié en fouettant
H2 : on mêle les jaunes, l'eau et le beurre
clarifié, puis on chauffe
H3 : on mêle les jaunes, le vinaigre, le
beurre cru, puis on chauffe
Pour H1 : la
première cuisson dure 78 secondes. Puis on ajoute le beurre. L'épaississement
se fait après 3 min 28 s.
Puis la sauce rate
quand on poursuit la cuisson.
Pour H2, on ne
parvient pas à monter la sauce. Pourtant on observe que les œufs ont cuit,
notamment après 3 min 24 s.
Pour H3 : on
obtient une consistance de suspension-émulsion.
La sauce n'est pas foisonnée. Il faut
6 min 18 pour arriver au résultat final.
Finalement :
1. La question de l'effet éventuel de l'acidité sur la réussite
de la sauce n'est pas résolue.
2. On observe que l'on voit deux types différents de sauces hollandaises :
2. On observe que l'on voit deux types différents de sauces hollandaises :
- les sauces
foisonnées, de type (G+O+S)/W
- les
sauces non foisonnées de type
(O+S)/W.
Dans ces formules (formalisme DSF), G représente
des bulles d'air, O des gouttelettes
d'huile, S des agrégats protéiques solides microscopiques, et W la phase
aqueuse. Le symbole « / » désigne une dispersion aléatoire.
Cette formalisation permet de comprendre que toute
phase aqueuse convient (lait, jus de fruit, thé, café, vin, bouillon...), ainsi
que toute matière grasse (beurre fondu, huile, foie gras fondu, fromage fondu…)
et tout type de protéines (végétales,
d’œuf, animales…).
La question se pose donc de nommer ou nom
« hollandaise » des sauces
ainsi constituées.
A noter que l'exploration historique ne permet
pas de réserver le nom de sauce hollandaises à des sauces faites seulement de
jaunes, beurre, eau, jus de citron.
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