Les retours d'Hervé This
On discute le menu 100 % note à note servi par Julien Binz, à Ammerschwihr. L'événement a eu
Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra
lieu le mercredi 21 février 2018. Il s'agissait :
- d'une conférence de presse avec des démonstrations
- d'un diner vendu (complet en quelques jours seulement), exécuté dans le restaurant de Julien Binz
par Julien Binz (Maître Cuisinier de France, étoilé Michelin, 3 Toques au Gault Millau (15/20)) et
son équipe habituelle ; Hervé This présentait les plats et discutait la question de la cuisine note à
note.
Le verbatim du chef est :
«J’avais envie de comprendre et d’apprendre. La cuisine note à note est théorisée depuis une
dizaine d’années, mais pas réellement mise en pratique. J’ai entrepris de travailler sur ce menu par
curiosité intellectuelle», précise-t-il. «J’ai accepté de perdre tous mes repères en cuisine, pour le
préparer et les clients doivent en faire de même pour le déguster. Il ne s’agit pas de démontrer que
c’est meilleur, mais c’est différent incontestablement. Pour celui qui le consomme, il ne s’agit pas
d’établir une préférence, mais d’accepter d’envisager que c’est une cuisine d’avenir.
«Plus d’un mois d’expérimentations a été nécessaire pour créer ce menu, mais j’imagine qu’avec
un laboratoire de recherches et une équipe dédiée, le champ des possibles gustatifs et esthétiques
est exponentiel. Comme il n’existe pas d’ouvrages de recettes note à note, j’ai procédé par
recherches, par expérimentations, en procédant à de nombreux essais puis les préparations sont
devenues concluantes et satisfaisante. Le menu est perfectible, mais nous sommes fiers d’avoir pu
réaliser ce menu en un mois avec mes équipes. Nous avons la satisfaction, à notre échelle humaine
de cuisiniers, d’avoir contribué à poser une pierre supplémentaire à l’édifice scientifique de la
cuisine note à note.
«J’ai rencontré Hervé This sur le salon EGAST en 2010 », se souvient Julien Binz. «Et depuis nos
routes se sont souvent croisées. J’ai suivi son travail et ses publications, j’ai eu la chance de
m’attabler chez El Bulli et chez Pierre Gagnaire, et d’assister à des conférences. Par ailleurs, nous
sommes voisins quelques mois dans l’année, ce qui nous a permis d’échanger avec plus de
régularité. J’admire sa science et son expertise », reconnaît Julien Binz.
« Pour ce menu, j’ai utilisé des produits tels les protéines végétales de pois, des protéines de lait,
blanc d’oeuf séché, jaune d’oeuf séché, agar-agar, amidon de mais (maïzena), carraghénane kappa,
eau, saccharose, glucose atomisé, mais aussi des émulsifiants et divers autres additifs, en
choisissant évidemment des produits parfaitement sains. Je remercie vivement le Groupe d'étude et
de promotion des protéines végétales (GEPV), ainsi que la société Ingrédia, qui m'ont procuré des
protéines.
« A cela, s’ajoutent les « évocations » de la Société Iqemusu : ces flacons aux notes odorantes
concentrées sur un support à base d’huile de tournesol. C’est innovant, car on utilise une note
odorante élémentaire, au lieu d'une préparation odorante toute faite par l'industrie des parfums,
comme une préparation «pêche » telle que l'utiliserait l'industrie des yaourts, par exemple. C'est le
cuisinier qui a la maîtrise du goût. Et ces « évocations » méritent bien leur nom : seuls un composé
de la pêche est retenu dans le produit « évocation pêche ». Parmi ceux que j'ai utilisés, il y a par
exemple l’évocation Frum (liquoreux, fruité et rum), Mapo (cacao, végétal et fruité) ou encore
Chapre (fromage de chèvre, cuir et gras). Il existe une trentaine d’évocations, à ce jour, sur les
dizaines de milliers possibles, et j’en ai utilisé une quinzaine pour réaliser ce menu ».
«Je suis très attaché aux produits frais, continue Julien Binz, et notre établissement ne
bouleversera pas ses cartes. Il est évident que ces nouvelles techniques acquises seront introduites
par note dans quelques recettes, tout comme l’utilisation de certains composés seront utilisés pour
répondre aux allergies et intolérances alimentaires. La semaine dernière, une personne allergique
au lactose a pu découvrir «l’oeuf revisité ». Le retour gustatif était très positif : elle était
Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra
agréablement surprise par le jeu des textures et des aromes inédits. Ce sera une alternative
surprenante et innovante aux traditionnelles assiettes de légumes. C’est aussi l’intérêt de la cuisine
note à note de manière immédiate et empirique, la réponse aux multiples allergènes, intolérances,
menus végétariens et végétaliens. J’en tire des enseignements, dont je pourrai me servir dès
demain.
La cuisine note à note implique l’acquisition des savoirs-fondamentaux du métier de cuisinier. Elle
s’appuie sur une certaine complexité ». Interrogé sur la notion de cuisine «faite maison», le chef
sourit : «Oui et même au-delà d’une certaine manière, puisque ce sont des composés purs et bruts
qui sont cuisinés et transformés sur place», conclut-il.
Et le menu a été le suivant :
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