dimanche 8 janvier 2017

BRUNO GOUSSAULT : « La cuisine c’est de la chimie vivante, de la biochimie… »

La cuisine c’est de la chimie vivante, de la biochimie


Le chef et ingénieur agronome Bruno Goussault, à Maurice durant le mois de mai pour un festival de cuisine à basse température à l’hôtel Le Labourdonnais et l’animation d’un atelier de formation à l’intention de 70 chefs/cuisiniers mauriciens, explique qu’il s’agit d’une cuisine qui permet d’aller chercher les propriétés qu’on veut développer dans un aliment pour qu’il garde toute sa saveur. Se prononçant contre la gastronomie moléculaire qui, pour lui, constitue « un ajout de la chimie à l’intérieur de la cuisine », il affirme : « La cuisine, ce n’est pas de la chimie mais de la chimie du vivant, de la biochimie ».
Qu’est-ce que la cuisine à basse température ?
La cuisine à basse température ou plutôt à “juste température” est une cuisson sous-vide et en opposition à la cuisine traditionnelle.
Il s’agit, en adoptant la bonne température, d’aller chercher le goût de l’aliment et de tout garder au lieu de perdre le goût de la viande dans un bouillon par exemple. Pour ce faire, on met une peau sur le produit. Cette technique n’est pas nouvelle. Elle date de la création du monde. Aujourd’hui, on va mettre une peau en plastique dessus. Avant, en charcuterie, on mettait un morceau d’intestin ou dans les îles, on cuisait dans le sable en plaçant l’aliment dans une feuille de banane. Ce sont des techniques très anciennes.
Quels en sont les avantages ?
Cela permet d’avoir une meilleure qualité gustative, une bonne texture, un bon parfum et une belle couleur. La cuisine à basse température permet de conserver toute la structure de l’aliment. Par exemple, pour la cuisson de la viande, on parle de la couleur bleue, saignant, rosé ou à point. Pour le bleu, la viande est cuite à une température de 56 °C ; c’est cru mais chaud. Le saignant, c’est à 58 °C, le rosé à 60 °C et le bien cuit à 70 °C. C’est lié à la perception de la couleur de la fibre musculaire à travers une couche d’albumine. C’est l’albumine qui bouge. La couleur reste pareille, c’est la perception de la couleur qui change. C’est comme si on regarde la couleur rouge derrière la vitre, la vitre va blanchir et le rouge deviendra gris. Il y a aussi un point esthétique à prendre en considération. Par exemple, les charcutiers utilisent 68 °C de température pour cuire le jambon. Pour fixer sa couleur rose pour qu’il ne devienne pas vert, ils vont dénaturer l’hémoglobine.
Si on veut avoir un produit juteux, il ne faut jamais cuire la viande au dessus de 68 °C : c’est la limite entre le juteux et le sec.
Il faut donc laisser mijoter longtemps…
Oui, mais il faut laisser mijoter beaucoup plus longtemps parce qu’il faut attendrir la viande. Il faut l’hydrolyser : c’est le processus de détacher les molécules pour la rendre plus tendre. Plus la température est élevée plus le travail est court, plus elle est basse plus le temps est long. Par exemple, à une température de 66 °C, il faut trois jours pour faire cuire ce qu’on fait en cinq heures à l’ébullition. Si on veut qu’un pot au feu soit saignant, on descend la température à 56 °C et on cuit pendant cinq jours. C’est énorme en termes de temps.
On a mis en place un système… Il s’agit de mettre de l’eau dans une casserole et d’y accrocher un termo-plongeur. C’est une résistance qui chauffe avec un petit moteur qui agite l’eau. Cela permet le transfert de la chaleur dans l’aliment.
Est-ce que de l’eau est rajoutée ou est-ce que vous recherchez l’hydratation du produit ?
Non, le produit est mis sous-vide sans eau et cuit dans l’eau qui est remuée. Il n’y a pas de contact direct entre l’eau et le plastique. S’il y a une bulle d’air, cela ralenti la chaleur.
C’est un équipement de dernière technologie…
Oui, on est allé prendre ces technologies en laboratoire de science. On dit que c’est de la cuisine moléculaire. À chaque fois qu’on va chercher un appareil en laboratoire, on parle de cuisine moléculaire. Et c’est très à la mode en ce moment. Moi, je n’aime pas la gastronomie moléculaire : ça ajoute de la chimie à l’intérieur de la cuisine et je considère que la cuisine, ce n’est pas de la chimie mais de la chimie vivante, de la biochimie. Cette chimie du vivant va chercher dans les aliments, les propriétés qu’on veut développer. Aujourd’hui avec le chef Joël Robuchon, on se bat en disant non à la boîte à pharmacie. On ne veut pas d’additif.
Par exemple, pour faire mousser un lait écrémé, on prend une de ses composantes qui s’appelle la caseinate. Elle a un pouvoir moussant. Il faut d’abord retirer tout l’eau du lait pour en faire comme un sorbet. On l’essore pour récupérer le lait concentré qui est enrichi de caseinate. En le faisant mousser, on a l’équivalent d’une crème de lait mais sans matière grasse. On travaille sur ces systèmes-là.
Est-ce que vous avez besoin que de matières nobles pour réaliser ce genre de cuisine ?
Tant que le poulet ne sent pas mauvais, c’est bon mais un poulet de batterie et un poulet bio n’auront pas la même texture. C’est sûre que les gens ne vont pas retrouver la même qualité de viande mais sur le plan gustatif… On va développer les mêmes arômes. Toutefois, ils sont beaucoup plus amplifiés dans les poulets bio que les poulets de batterie. On va quand même donner du goût au produit de même qu’une texture superbe. Plus la matière première est noble, meilleur est le résultat.
Est-ce que tous les produits, légumes ou chairs, peuvent être cuits sous-vide ?
On a commencé par les viandes et les poissons. On s’est aperçu que cela donnait d’excellents résultats même sur des viandes de troisième catégorie. Par example, on fait du plat de côte saignant, qui est la partie la plus dure du boeuf, et cela donne exactement le même goût que le côte de boeuf. On le fait cuire à 56 °C pendant trois jours de manière à l’attendrir et cela donne un produit qui revient en première catégorie. Les fruits, l’amidon pour faire des sauces... peuvent aussi être cuits sous-vide. Cette cuisson permet de réduire la quantité d’aromates utilisés dans la cuisine traditionnelle.
C’est très pointu. Comment s’y prennent les petites gens pour ça ?
Pour le moment, ils ne le font pas. Les équipements sont très chers. Il faudra attendre que le prix descende, et ça va venir. Aujourd’hui, ce sont les grands chefs qui le font. Il y a beaucoup de produits qui sont cuits sous-vide à travers le monde.
Cela coûte un peu plus cher de faire du sous-vide mais pas beaucoup plus qu’un produit qu’on met au frigo. L’écart de température entre l’air ambiant et du réfrigérateur est le même qu’entre l’air ambiant et la température du cuisson. Ce qui fait la grosse différence, c’est le prix de la matière première.
Y a-t-il grosse demande pour cette méthode de cuisson ?
Oui, de plus en plus surtout aux États-Unis. En France, on est assez timide là-dessus parce qu’il y a eu une très mauvaise image de marque.
Pourquoi ?
Il y a eu un reportage où une chaîne de restaurants se servait de l’industrie. Au lieu de retravailler le produit, elle n’a fait que le réchauffer avant de le vendre trois fois plus cher. La cuisson sous-vide n’enlève rien du métier de cuisinier. Nous vendons la base préparée sous-vide qui demande ensuite à être retravaillée.
Comment se passe le festival de cuisine à basse température que vous animez à l’hôtel Le Labourdonnais (NdlR : 20 au 24 mai) ?
Très bien. En outre, il y a une formation des chefs et cuisiniers. Ils sont 70 au total. J’avais déjà eu certains en formation il y a des années. Les gens sont très impressionnés et passionnés. Ils restent toute la journée. On leur fait goûter les produits préparés de manière traditionnelle et sous-vide pour faire la différence.
Quelle est votre formation ?
J’ai une double formation d’ingénieur d’agronomie et de chef. J’ai un doctorat en sciences économies qui n’a rien à voir avec la cuisine et un, en science, sur la biochimie.
Partenariat Coroi Maurice-Multivac
Le chef Bruno Goussault était à Maurice dans le cadre d’une invitation conjointe de l’hôtel le Labourdonnais et la compagnie Coroi. Cette dernière a été créée en 1974 avec pour principale activité la commercialisation des produits chimiques et agrochimiques, fait ressortir un communiqué de presse émis par l’entreprise.
Au début des années 90, Coroi a diversifié ses activités vers la vente d’équipements de cuisine, de buanderie professionnelle et de nettoyage. Coroi Maurice indique que c’est dans le cadre d’un partenariat avec Multivac, « leader dans le domaine du conditionnement alimentaire et du sous-vide », que le chef Goussault a été invité à venir à Maurice pour partager son expérience. « Nous sommes persuadés que Coroi et Multivac permettront aux chefs locaux de bénéficier de nouvelles techniques de cuisson des aliments et que finalement, ce seront les clients des hôtels qui bénéficieront d’une expérience culinaire unique », fait ressortir le communiqué de presse.

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